jeudi 24 septembre 2009

Death Magnetic

La première fois que j'ai entendu parler de Truman Capote, c'était à l'occasion de la diffusion sur Canal + de son biopic réalisé en 2005. J'avais longtemps projeté de lire un de ses livres (De Sang-froid, pour faire dans l'originalité), mais je n'avais jamais vraiment sauté le pas jusqu'à ce que je tombe sur un petit Folio 2€ de sa plume lors d'un vide-grenier dans le XXe arrondissement de Paris. Arrachant le livre à 1€ (c'est dingue, entre Lille et Paris l'inflation qu'il peut y avoir au niveau du prix des livres sur une brocante), j'ai pu découvrir Truman Capote.

Ce livre, il s'agit de Cercueils sur mesure, paru dans le recueil Musique pour caméléons paru en 1980. Se mettant en scène, Truman Capote nous raconte un fait divers livré de manière journalistique si bien que l'on peut se demander si cela est réel ou pas. Jake Pepper, un ami du narrateur, enquête depuis 5 ans sur une affaire dans le Nord des Etats-Unis, dans laquelle chaque victime a reçu avant de mourir, par voie postale, un petit cercueil taillé de bois contenant une photo volée d'elle. L'affaire "bouffe" littéralement l'inspecteur, puis le narrateur par l'impossibilité de prouver la culpabilité du principal suspect.

Difficile de juger l'écriture de Capote lorsque son récit ne se compose presque que de dialogues, mais ceux-ci sont toniques, vivants et pleins de caractères. Le point principal d'un livre de ce genre reste l'intrigue et sa plausibilité si je puis dire. La première partie du livre est très bonne de ce niveau là, décrivant des crimes ingénieux et un mode opératoire savamment construit et logique. Cependant, une fois l'exposé des faits au narrateur passé, le rythme retombe dans une sorte de mollesse générale et perd peu à peu son lecteur. Il se passe un tas de choses, mais peu d'intéressantes, si bien que le livre se conclut sur une fin énigmatique qui ne donne aucune réponse et pose de nouvelles questions, mais d'une manière qui ne peut satisfaire ni celui féru de vérité qui ne saura pas et celui féru d'enquête, qui ne peut se faire de véritables idées, le livre étant centré sur un unique suspect.

En somme, un bon livre qu'on lit d'une traite, sans s'arrêter tellement l'intrigue policière est bonne, mais qui retombe comme un soufflé à la dernière ligne.


mardi 22 septembre 2009

Deux soeurs

Une autre grand figure du Japon littéraire du XXe siècle est Yasunari Kawabata, Prix Nobel en 1968. Grand ami de Yukio Mishima, il a en commun avec lui l'ambiguïté de sa sexualité. Ce n'est pas la seule ambiguïté qui transperce son œuvre, et c'est celle-ci qui va m'intéresser aujourd'hui, celle de la réception de l'ouverture du Japon.

Lorsque l'on commence à lire du Kawabata, l'on vous conseille généralement de lire Les Belles Endormies ou Pays de Neige. Ne voulant rien faire comme tout le monde, j'ai choisi de lire Kyôto, écrit en 1962. Roman un peu à part dans sa bibliographie, il raconte l'histoire de Chieko, jeune fille qui a été adoptée et qui découvre qu'elle a une soeur jumelle. Voilà, l'intrigue tient en une ligne, et je n'aurai guère besoin d'en dire plus. L'histoire est simpliste, les coïncidences prêtent plus à rire qu'autre chose tellement l'édifice est bancale. Mais le roman ne porte pas le prénom de son héroïne. Non, il s'agit de celui de la ville où l'action se déroule (tout du moins dans l'édition française, j'y reviendrai). Kyôto. En 1962, à la croisée des chemins. En fait, elle l'est depuis le début de l'ère Meiji (1868) et l'ouverture à l'Occident. Kawabata nous sert un catalogue des fêtes traditionnelles de la ville, de son histoire, de ses quartiers, rien ne nous est épargné. Ressort de tout cela une crainte, celle de voir la ville s'enlaidir avec l'ouverture à l'Occident et perdre de son identité, ainsi, par la voix de l'un de ses personnages, Kawabata se demande si Kyôto ne finira pas par ne plus être qu'un immense hôtel-restaurant. C'est ainsi que le titre du roman en japonais est "Koto", qui signifie littéralement "ancienne ville". L'on retrouve un peu la même chose, mais cette fois-ci attachée aux personnes. Ainsi, Chieko est une fille de la ville, beaucoup plus matérialiste que sa jumelle qui vit dans la montagne au milieu de la nature. Le fait qu'elles soient jumelles montre un Japon aux deux visages, schizophrène.

L'écriture est très simple, très contemplative (l'on a droit à de longues pages sur la nature, les feuilles et les fleurs), mais l'on a jamais vraiment l'impression que tout décolle, cela manque d'unité et cet assemblage disparate d'éléments divers ne parvient pas, à l'exception des vingt dernières pages, à emporter le lecteur.

lundi 14 septembre 2009

Orages d'acier

«Je portais encore, bien que j'eusse très chaud, ma longue capote et, comme le prescrivait le règlement, des gants. Quand nous avançâmes, une fureur guerrière s'empara de nous, comme si, de très loin, se déversait en nous la force de l'assaut. Elle arrivait avec tant de vigueur qu'un sentiment de bonheur, de sérénité me saisit.
L'immense volonté de destruction qui pesait sur ce champ de mort se concentrait dans les cerveaux, les plongeant dans une brume rouge. Sanglotant, balbutiant, nous nous lancions des phrases sans suite, et un spectateur non prévenu aurait peut-être imaginé que nous succombions sous l'excès de bonheur.
»
— Ernst Jünger, Orages d'acier.

Anglais tués à la sortie du village de Moreuil, mars 1918.

J'ai déjà abordé la Première Guerre Mondiale par deux angles, celui de la fiction avec le roman d'Erich Maria Remarque A l'Ouest, rien de nouveau, et par celui de l'Histoire avec l'ouvrage d'Annette Becker et de Stéphane Audoin-Rouzeau. Aujourd'hui, c'est d'un témoignage de cette guerre qu'il s'agit, le puissant Orages d'acier d'Ernst Jünger. Je n'ai pas envie de m'étendre sur l'auteur, controversé par la suite dans l'histoire mouvementée de l'Allemagne au XXe siècle, je préfère en dire le strict minimum pour comprendre qui il est en 1920 lorsqu'il rédige son livre. Il est un vétéran de la Première Guerre Mondiale dans laquelle il a été un engagé volontaire dès les premières heures, à 19 ans. Il a auparavant appartenu à la Légion étrangère française. Durant la guerre, il est blessé quatorze fois et reçoit la plus haute distinction militaire allemande quelques semaines avant la fin du conflit, la Croix pour le Mérite. C'est cette guerre qu'il raconte d'un bout à l'autre de son livre.

Contrairement à d'autres témoignages ou à certains fictions, Jünger n'insiste pas sur le pathos de la situation. Hors de question de pleurer ses camarades plus d'une ligne pour ceux qui étaient les plus proches de lui, ou bien encore de s'émouvoir lors de ses permissions en Allemagne. Celles-ci sont d'ailleurs totalement ignorées dans le récit, et la nostalgie de la patrie ne transparait qu'à quelques occasions. Orages d'acier, c'est la guerre, la guerre, et encore la guerre, racontée de manière clinique. Les morts sont expédiées, la plupart n'ont pas de noms et sont distingués par leurs blessures.
Jünger, lieutenant, a des hommes sous ses ordres et ainsi il aborde certaines questions d'ordre tactiques, notamment dans l'offensive, dans la défense et dans la gestion d'une tranchée. Toutes ces questions d'ordre militaire et clinique pourraient ennuyer le néophyte (il est nécessaire de maîtriser quelques notions sur la Première Guerre Mondiale pour comprendre la totalité du récit, bourré de termes techniques.) si Jünger ne parlait pas de ce qui faisait battre le cœur des hommes au combat, l'excitation d'être au front et la "joie guerrière", cette sorte d'auto-stimulation de groupe. La guerre transforme les hommes, et certains en sont conscients comme le lieutenant Jünger. Cependant, il n'y a aucune haine vis-à-vis de l'ennemi, et il reconnait leur valeur en tant qu'homme. La guerre est ce qu'elle est, et il est pour longtemps inenvisageable pour ce patriote allemand que l'Empire puisse connaître la défaite. Cependant, jamais Jünger ne dédouane l'individu de l'acte de tuer au profit de l'Etat. Le choix de tuer ou pas l'adversaire est personnel, même dans des circonstances exceptionnelles. Jünger explore ce choix à plusieurs reprises, face à des adversaires désarmés ou qui tendent des photos de leurs familles. Parfois, cependant, il ne se gêne pas pour tuer à vue. La nuance semble être ici, entre tuer un individu de manière impersonnelle, de loin, sans voir ce que fait la balle qui transperce le corps de l'ennemi, et tuer un être dont l'on peut voir les yeux, en face à face.

Orages d'acier est une œuvre de bruit, de fureur, de violence, de sang, de mort, mais également une oeuvre humaine, qui nous emmène dans la réalité des tranchées de la Première Guerre Mondiale et dans le cœur et le cerveau d'un vétéran, d'un héros de guerre.

vendredi 11 septembre 2009

Love Gun

Après les denses 800 pages de La Terre sous ses Pieds, me voilà devant Le Fusil de Chasse de Yasushi Inoué, 87 pages aérées. Le changement est radical.

Second roman de cet auteur important du paysage littéraire japonais du XXe siècle, d'ailleurs lauréat du prix Akutagawa, écrit en 1949, il nous plonge dans ce qui pourrait être la quintessence de l'amour et de l'adultère. Le roman s'ouvre sur une narration à la première personne où un homme raconte qu'il a envoyé à une revue sur la chasse un poème décriant quelque peu cette pratique. Il s'attend à recevoir une volée de bois vert de la part de lecteurs mais son poème passe inaperçu. Enfin presque. Un jour, il reçoit une lettre d'un dénommé Josuke, qui dit s'être parfaitement reconnu dans le chasseur solitaire décrit dans le poème, et confie qu'il s'agit du premier poème auquel il s'est intéressé de sa vie, et qu'il a trois lettres qu'il s'apprêtait à brûler, mais qu'il pense qu'elles pourraient servir à un poète. Quelques jours plus tard, le narrateur originel reçoit les trois lettres, trois faisceaux d'un amour, décrit de manière très contemplative, avec beaucoup de retenue vite balayée par des sentiments à vif.

Hokusai Katsushika, Le Mont Fuji

Les trois lettres proviennent de trois femmes différentes, trois victimes d'un mensonge adultérin, trois visions d'un même évènement qui change au gré des fantasmes de chaque femme. Trois femmes : la fille de la maîtresse qui vient de se suicider, la femme de Josuke, Midori, et enfin dans une lettre posthume la maîtresse. S'enchainent les très belles scènes, entre la fille qui ne comprend pas, la femme qui se tait pendant treize ans en souffrant et s'érige une forteresse, et la maitresse qui se replie dans son secret du péché. Et une question reste en suspens : jusqu'où aller par amour ?


mercredi 9 septembre 2009

And the ground beneath her feet...

« Pourquoi faisons-nous si grand cas des chanteurs ? Où réside le pouvoir des chansons ? Dans la pure étrangeté de l'existence du chant. La note, la gamme, l'accord ; les mélodies, les harmonies, les arrangements ; les symphonies, les raggas, les opéras chinois, le jazz, le blues : que de telles choses puissent exister, qu'on ait pu découvrir les intervalles et les écarts magiques que donnent les pauvres grappes de notes, tout cela dans l'empan, l'étendue de la main humaine, à partir de laquelle on peut construire nos cathédrales de son, c'est un mystère aussi alchimique que les mathématiques, le vin ou l'amour. Les oiseaux nous l'ont peut-être appris. Peut-être pas. Peut-être sommes-nous simplement des créatures à la recherche de l'extase. Nous n'en avons pas beaucoup. Nos vies ne sont pas ce que nous méritons, elles sont, mettons-nous bien d'accord, douloureusement insuffisantes. La chanson les transforme en quelque chose d'autre. La chanson nous montre un monde digne de notre ardent désir, elle nous montre notre être intime comme il devrait être, si nous étions dignes du monde.
Cinq mystères tiennent les clefs de l'invisible : l'acte amoureux, la naissance d'un enfant, la contemplation des grandes oeuvres d'art, la présence de la mort et du désastre, et l'écoute de la voix humaine qui chante. C'est à ces moments-là que les serrures de l'univers s'ouvrent et que nous avons un aperçu de ce qui est caché ; la nef de l'ineffable. A ces moments-là, la splendeur retombe sur nous : la ténébreuse splendeur des tremblements de terre, l'émerveillement insaisissable d'une vie nouvelle, le rayonnement du chant de Vina. »
— Salman Rushdie, La Terre sous ses Pieds, I.

La Terre sous ses Pieds.
J'ai mis du temps avant de m'attaquer à ce livre, cadeau de Saint Valentin (oui, nous sommes bien en septembre). Pavé de 800 pages écrit par l'auteur indien Salman Rushdie, ce roman avait tout pour me plaire, ce n'est pas pour rien que mon aimée me l'a offert : cela parle de rock n' roll. Seulement, cela n'aborde pas que ce thème qui est tout de même central dans le livre. En effet, il ne s'agit pas d'un roman sur l'accession à la gloire d'un groupe de rock, mais un roman global qui brasse des dizaines de vies de personnages d'horizons différents qui ont chacun leur part dans la grande histoire que nous conte Rushdie, entre l'Inde et l'Occident.

Si je devais exprimer ce roman en un mot, je choisirai celui de "fresque". Je ne vois pas comment il serait possible de dépeindre autrement l'histoire des vies de Vina Apsara et Ormus Cama, Eurydice et Orphée modernes. Une sorte d'immense tableau peuplé de personnages différents qui ajoutent à la beauté de la peinture. Tentons de résumer en quelques phrases l'intrigue principale du livre : après la mort de Vina Apsara, rock star mondiale ex-membre de VTO dans lequel elle formait avec son amour de toujours Ormus Cama un duo dantesque, Rai Merchant, un ami d'enfance et amant malheureux, décide de raconter leur histoire à tous les trois, depuis leur enfance à Bombay jusqu'aux plus hautes marches du monde.

Tout est excessif dans Ormus et Vina, de leur amour à leur célébrité. Véritables symboles de la musique et même du monde, leur accession au panthéon du rock n' roll ne nous est pas contée comme l'on pourrait s'y attendre, avec une foule de détails de concerts, de backstages, etc. Non, Rushdie, par la plume de Rai, fait comme si nous connaissions tous VTO, comme si nous les avions tous vus en concert jouer leurs titres les plus symboliques de leur temps. Dans ce monde parallèle où Kennedy n'est pas mort, le Watergate un roman et Lennon toujours en vie, ne pas connaître VTO est impossible. Le récit avance ainsi, se reposant sur des acquis supposés du lecteur, qui sont bien heureusement disséminés ici et là, autour de quelques détails, ou rappelés par Rai. Le lecteur est vraiment pris à parti et renforce son implication dans cette histoire.

Pour en revenir à la foule de personnages, ceux-ci ne sont pas traités superficiellement, avec un petit background gentillet et c'en est terminé. Ils sont fouillés et si pour cela, Rushdie doit passer une dizaine de pages rien que sur lui, il le fait et cela ne le gêne pas, et nous non plus. La diversité des situations et des histoires dans un seul roman est prodigieuse, et nous fait voyager d'un bout à l'autre de la terre, entre le Bombay de Rai, les jungles du sous-continent, l'Angleterre et son âge d'or du rock, New-York, le Mexique... Quelques passages sont un peu longuets mais tout est présent pour le divertissement du lecteur qui ne peut que trouver son compte, car il se passe toujours quelque chose.

« - Oui, dit Sir Darius. Mais que fait-on de l'extériorité ? Que fait-on de tout ce qu'on considère comme au ban de la société, au-dessus de la mêlée, indigne d'attention ? Que fait-on des bannis, des lépreux, des parias, des exilés, des ennemis, des revenants, des paradoxes ? Que fait-on de ceux qui sont éloignés ? Merde. (Il se retourna vers son enfant silencieux assis dans l'ombre de la pièce.) Que fait-on de Virus ?
- Je ne suis pas sûr de comprendre.
William Methwold était perdu.
- Que fait-on des gens qui ne peuvent appartenir à rien ?
- A quoi ? Appartenir à quoi ?
- A n'importe quoi. A n'importe qui. N'importe où. Ceux qui n'ont pas d'attaches psychiques. Des comètes qui traversent l'espace et qui échappent à tout champ gravitationnel.
- Si de tels gens existent, proposa Methwold, ne sont-ils pas rarae aves ? Très rares ? A-t-on vraiment besoin d'un quatrième concept pour les expliquer ? Ne sont-ils pas, eh bien, comme des vieux papiers et tout ce qu'on jette à la poubelle ? Ne sont-ils pas tout simplement l'exception à la règle ? Des pièces rapportées ? Ne peut-on pas simplement les rayer de la liste ? S'en débarrasser ? Les mettre à la porte du club ?
Mais Sir Darius Xerxes Cama n'écoutait pas. Debout devant la grande fenêtre de la bibliothèque, il regardait la mer d'Oman.
- Les seules personnes qui voient la totalité du tableau, murmura-t-il, sont celles qui sortent du cadre. »
— Salman Rushdie, La Terre sous ses Pieds, II.

Divertissement, oui, mais pas que. La réflexion n'est jamais absente des phrases de Salman Rushdie, entre les recherches du père d'Ormus, dont est extrait le passage ci-dessus, à propos du rapprochement entre les mythologies européennes et indiennes et des catégorisations des populations. Cette mythologie imprègne le texte et Rai ne se prive pas de faire moults références à Dionysos et aux mythes grecques en général. Ormus et Vina ne sont-ils pas les incarnations modernes d'Orphée et d'Eurydice (voir le dernier concert de VTO) ? Au travers même de ces personnages poussés à l'excès, l'on trouve aussi bien une critique des malaises de notre temps que de l'influence de l'Occident sur l'Orient et de l'Orient sur l'Occident et les visions qu'ont les deux l'un de l'autre.

Si je devais énoncer quelques critiques négatives à l'encontre du livre, ce serait peut-être qu'il s'éternise un peu sur la fin, mais surtout le fait que Rushdie ait rajouté une dose de spiritisme, de fantastique à son livre qui peut très bien passer à très petite dose (et encore) mais qui a parfois failli me faire fermer le livre tellement cela m'a dérangé dans ma lecture, un peu comme un gros cheveu dans une excellente soupe avec des pâtes en forme de lettres. Cependant, une fois digérées, cela n'empêche pas d'apprécier la globalité d'un roman qui divertit, qui fait voyager et qui fait réfléchir.

« - Epouse-moi.
Il enlève la bague à pierre de lune de la main droite de Vina et essaie de la lui passer à l'annulaire de la main gauche en signe de fiançailles.
- Epouse-moi tout de suite.
Vina se raidit, elle résiste au changement de doigt. Non, elle ne l'épousera pas. Elle refuse, le rejette carrément, sans prendre le temps de réfléchir. Mais elle ne résiste pas à la bague, elle l'accepte, elle ne peut s'empêcher de la regarder. (Le chauffeur de taxi, curieux, un Sikh, tend l'oreille.)
- Pourquoi ?
Le hurlement d'Ormus est pitoyable, même un peu pathétique. Vina offre au chauffeur de taxi plus de spectacle qu'il n'en avait espéré.
- Tu es le seul homme que j'aimerai jamais, promet-elle à Ormus. Mais crois-tu sérieusement que tu es le seul type avec qui je vais baiser ?
»
— Salman Rushdie, La Terre sous ses Pieds, IV.

En lisant les paroles des chansons de VTO disséminées ici et là dans le roman, je me suis dit qu'elles rendraient réellement bien en chanson. En cherchant des informations sur le livre, j'ai trouvé un clip de U2, The Ground Beneath her Feet. Salman Rushdie y faisant une apparition, le doute n'est pas permis, et les paroles sont exactement les mêmes que celles écrites par Ormus pour cette chanson-hommage à Vina Apsara.




A noter qu'une adaptation cinématographique par Raoul Ruiz était prévue en 2001 avec Salma Hayek dans le rôle de Vina Apsara, mais le temps a passé et je pense qu'il est certain que ce projet ne verra jamais le jour.

lundi 7 septembre 2009

Toute une histoire

Je reviens de la Braderie de Lille avec des images de tas de moules plein la tête mais surtout quelques objets forts utiles : une carte et trois livres. La carte est une carte scolaire de géographie des Etats-Unis comme l'on pouvait en trouver au collège pour ceux qui s'en souviennent. Quant aux livres, il y a un tome de l'Histoire de France de Michelet, Des Souris et des Hommes de Steinbeck et surtout un manuel d'Histoire de France de Cours Moyen datant de 1893, que j'ai pu acheté sans négocier pour deux euros ! Deux euros ! Je ne vous raconte pas le grand sourire que j'arborais quand j'ai tendu la petite pièce. Son état est plutôt bon pour un livre de plus d'un siècle, quelques pages qui ne sont plus reliées, et sur deux pages, de petites illustrations ont été découpées par l'écolier qui possédait ce livre.


J'ai du lire la moitié du manuel, principalement les chapitres que j'avais déjà étudié à la faculté et les évènements les plus sujets à caution et je ne peux m'empêcher de relever plusieurs passages qui expriment bien la vision du monde de l'époque, et la vision de l'histoire.

"C'est par le travail, par le long et patient effort des générations qui nous ont précédés que la Gaule, se transformant peu à peu, est devenue ce pays bien cultivé, riche, bien peuplé qui s'appelle la France."

"La Gaule devint alors une province romaine. Elle fut généralement heureuse sous l'administration des Romains. Les empereurs, surtout ceux de la famille des Antonins, firent beaucoup pour la prospérité de notre pays. [...] Ainsi la Gaule avait perdu son indépendance, mais elle reçut en échangela civilisation."

"L'invasion des Huns est une des plus terribles qui aient menacé la Gaule. Ces peuples de l'Asie avaient un aspect hideux."

"Les Arabes, fanatisés par leur prophète Mahomat, avaient conquis l'Afrique, l'Espagne et franchi les Pyrénées."

"La France aurait dû consacrer toutes ses ressources à cette lutte maritime contre l'Angleterre, l'aveir de nos colonies en dépendait ! Malheureusement elle se laissa entraîner dans une guerre continentale. Elle fit alliance, sans aucune raison, avec l'Autriche contre la Prusse que nous n'avions alors aucun intérêt à combattre. C'était une faute capitale ; de désastreux revers en furent la conséquence."

"La Révolution était prévue. L'inégalité des classes dans l'ancien régime, l'arbitraire du gouvernement, les souffrances du peuple l'avaient rendue inévitable."

"C'est dans la Saxe, près de la ville de Leipzig, qu'allait se livrer la mémorable bataille que les Allemands ont nommé bataille des nations. Pendant trois jours, 200 000 Français combattirent contre plus de 300 000 Allemands, Autrichiens et Russes. L'humanité n'avait pas vu encore une telle masse de soldats disciplinés se heurter sur un même champ de bataille. [...] [Napoléon] fut vaincu. L'Allemagne était perdue pour nous. Le sol de la patrie allait être envahie par l'étranger !"

"La France avait payé bien cher sa gloire ; pendant quinze ans, elle n'avait connu d'autre loi que la volonté de l'empereur. Puisse-t-elle ne pas oublier que la dictature d'un homme, fût-il un homme de génie, finit toujours par être fatale au peuple qui la subit ! L'Angleterre n'avait eu ni un Louis XIV ni un Napoléon ; mais, pour n'avoir jamais perdu l'amour et le souci de ses libertés publiques, elle sortait victorieuse d'une lutte qui avait accablé notre pays !"

"Depuis longtemps les Prussiens se préparaient à cette guerre qu'ils prévoyaient. Le service militaire obligatoire leur avait donné une armée considérable."

"L'Assemblée eut la douleur de subit les exigences impitoyables des Allemands vainqueurs. Elle dut céder l'Alsace,la Lorraine et payer une indemnité de cinq milliards. Grâce aux efforts patriotiques de Thiers, Belfort nous fut conservé."

"Il semblait que la France, après de si grandes épreuves, n'eût plus qu'à périr. Elle a cependant trouvé dans la fertilité de son sol et dans le travail de ses habitants de nouvelles ressources."

"Un de ces hardis explorateurs, le lieutenant Francis Garnier, fut assassiné, en 1873, par les bandes sauvages du Tonkin. [...] Le commandant Rivière s'empara de Hanoï, mais, voulant poursuivre avec quelques hommes seulement les bandes sauvages, [...] il tomba dans une embuscade et fut tué."

mardi 1 septembre 2009

Star by Star

Qu'est-ce qui est de la littérature, et qu'est-ce qui n'en est pas ? Vaste question, n'est-ce pas ?

Mon parcours de lecteur a débuté avec L'Île au Trésor puis Roald Dahl avant de connaître une longue période durant laquelle une série de livres parmi toutes prenait une place prépondérante, phagocytant mon temps de lecture jusqu'à l'extrême, ne laissant que peu de places au reste. Cette série, il s'agit de celle des romans dérivés des films Star Wars. Est-ce que ces livres qui utilisent une licence pour bien vendre peuvent être considérés comme de la littérature ou juste comme des livres écrits en quatrième vitesse pour être rapidement sortis, et rapidement achetés pour contenter le fan trop heureux de pouvoir lire des histoires ineptes de sabres lasers, de robot asmathique et de vaisseaux spatiaux ?

J'ai commencé ma plongée (en apnée) dans l'Univers Etendu de Star Wars avec la trilogie de la Croisade Noire du Jedi Fou de Thimothy Zahn pour remonter à la surface à la fin de la saga en 19 tomes du Nouvel Ordre Jedi. Entre cela, une centaine de romans, même ceux estampillés "Jeunesse" y sont passés, et je me suis même essayé aux versions anglaises en étant encore qu'en 4e. J'ai oublié une bonne partie du "savoir" que j'avais à l'époque, mais il me suffit de prendre sur son étagère Les Ombres de l'Empire, de Steve Perry, pour que toute une atmosphère remonte à la surface. C'est bien, je suis sentimental, mais est-ce qu'on peut vraiment qualifier cette chose de littérature ?

Ce débat a souvent animé la communauté Star Wars, et encore aujourd'hui, on tombe parfois, mêmes sur des sites tels que Le Monde, des messages d'Internautes dénigrant certaines "jeunes qui ne sont bons qu'à jouer à leurs jeux vidéos et à lire leurs bouquins de SF et de Fantasy, jamais ils ne connaîtront la beauté de la vie, blablabla", je passe tous les clichés. Aujourd'hui, je pense être en mesure de répondre en ce qui concerne l'Univers Etendu de Star Wars, et plus globalement, car l'on part du particulier pour ensuite élargir.

La licence Star Wars a connue deux éditeurs, et grosso modo, deux périodes : Bantam puis Del Rey ; le premier a lancé et pérennisé, le second a renouvelé. La première période correspond à des romans faisant suite à la première trilogie mettant en scène quasi-systématiquement Luke, Han et Leia qui sauvent la galaxie. Certains livres sont très bons, très agréables à lire, faisant rire et pleurer (la saga X-Wing, qui met en scène un escadron presque-inédit de pilotes), tout en côtoyant des romans d'une lourdeur et d'un ennui mortel (Barbara Hambly est devenu mythique dans la communauté Star Wars pour deux de ses romans d'une médiocrité abyssale). Que penser de cette période ? Hormis quelques éclats de quelques auteurs, l'on navigue dans ce que l'on pourrait appeler des romans de gare, des livres faciles à consommer qui apportent du plaisir sans réfléchir, mais je reviendrai sur ces notions plus loin.
Del Rey reprend le flambeau avec l'arrivée de la nouvelle trilogie et l'on assiste à un renouvellement des histoires, des personnages et des auteurs. La série du Nouvel Ordre Jedi en est une très bonne illustration : les héros traditionnels sont progressivement éclipsés par une nouvelle génération, les gentils perdent et meurent, l'Empire n'a que peu à voir dans l'intrigue principal, tout est inédit et démesuré, si bien que l'on ne sait pas bien ce qui peut arriver en ouvrant l'un des livres (le traumatisme de Vecteur Prime est encore prégnant chez de nombreux fans), et la série est écrite par de nouveaux auteurs (Denning, Salvatore) épaulés de vieux routards qui ont écrits les meilleurs moments de l'époque Bantam (Stackpole, Aalston). Parmi ces nouveaux auteurs, l'un d'eux retient particulièrement mon attention et a atteint mon panthéon de mes écrivains préférés malgré le fait qu'il soit estampillé "SF/Fantasy" : Matthew Stover. Il a écrit Le Traître pour le Nouvel Ordre Jedi, Point de Rupture pour la Guerre des Clones et a été chargé de la novélisation de la Revanche des Siths, le troisième épisode de la saga cinématographique, le dernier à être sorti (j'aime bien embrouiller les gens). Ce n'est pas un prix Nobel de Littérature, mais sa plume est excellente et il n'a pas écrit que de très bons livres Star Wars, il a écrit de très bons livres tout court. Quand j'écris la critique d'un quelconque roman, je pourrai très bien écrire à la suite celle de Point de Rupture sans que ce dernier ait à en pâlir par son statut de "roman Star Wars". Il n'aborde pas que les thèmes que l'on retrouve dans les films et qui ont été répétés à outrance pendant l'époque Bantam, il construit une véritable réflexion sur des choses très différentes avec un brio certain. Pour le plaisir, je ne peux m'empêcher de citer un extrait du Traître, qui m'avait profondément marqué à l'époque (je devais être en 3e) car cela sortait de l'ordinaire des descriptions de combat des autres romans de la série.

« Ils se ruent sur lui, un par un, en un flot continu, chaque guerrier cherchant la gloire d'un combat singulier honorable.
Puis ils arrivent deux par deux.
Quand ils commencent à attaquer par groupe, ils doivent piétiner les cadavres de leurs camarades pour atteindre le Jedi. Un monceau de cadavres.

Qui se transforme vite en rempart...
Ganner Rhysode se construit une forteresse de morts.

[...]
Pour tenir le passage, il n'est pas suffisant de tuer et de blesser, ni d'être calme et attristé.

Pour tenir le passage, il ne doit pas seulement prendre des vies, mais le faire sans effort, avec insouciance et en riant joyeusement.

Pour tenir le passage, il doit danser, virevolter, sauter, tourbillonner et appeler à lui d'autres adversaires. D'autres victimes.
Il doit les obliger à hésiter à l'affronter.

Leur faire connaître la peur.
Et il a trouvé l'incantation magique qui a détruit les barrages, en lui, et libéré les flots.
Personne ne passera. Il manie la lame d'un héros tombé au combat. Maintenant, c'est lui le héros, et ses ennemis tomberont.
Il s'élève.

La Force gronde en lui, à travers lui, et il lui répond. En renonçant à tout contrôle, en abandonnant la pensée, en réagissant seulement à une vgue de passion et de joie, il trouve un pouvoir dont il n'aurait jamais osé rêver.
Il est devenu la bataille.
[...]

Ganner Rhysode ignore tout de la texture du corail qui couvre les murs, de la qualité de la lumière, ou du nombre d'adversaires qu'il combat. En a-t-il ffronté une dizaine ? Une centaine ? Combien on été traînés en sécurité après avoir récolté des blessures graves ? Combien gisent dans le brouillard sulfureux ?

Il ne s'en souvient ps, car il n'a plus de mémoire. Pour lui, il n'existe plus ni passé ni avenir.
Il n'a plus conscience de lui-même. Ni des Yuuzhan Vong. Il est devenu les guerriers qu'il combat, se tuant lui-même à chaque fois que l'un d'eux périt. Il n'existe plus de Ganner Rhysode. Plus de Yuuzhan Vong, plus de Jedi.
Il ne reste que les danseurs et la danse.

Dans la galaxie, désormais, tout est mouvement.
Tout est danse.

Tout
est. »
— Matthew Stover, Le Traître, XIV.

Cela peut paraître convenu dans une esthétique un peu surfaite que l'on aurait l'habitude de rencontrer dans ce qui veut se donner du style pour paraître, mais il est que la qualité est là, et j'aurai pu choisir bien d'autres extraits, parfois plus représentatifs mais qui m'étaient bien moins chers. Résumons l'époque Del Rey comme nous l'avons fait pour l'époque Bantam : il s'agit d'une hausse de la qualité, d'une prise de risque évidente avec de très bons auteurs qui écrivent de très bons livres. Mais alors, y aurait quelques bouquins qui seraient de la littérature et pas un truc pour ces décérébrés de fans abrutis, comme le pense l'éditeur français Fleuve Noir en proposant des traductions minables et bâclées, et des couvertures confinant aux limites du ridicule (allant jusqu'à échanger deux couvertures de deux romans, à confondre des quatrièmes de couverture...) ? Pas vraiment. J'ai même envie de dire que tous les romans Star Wars sont de la littérature (oui, même ceux de Barbara Hambly.), non pas dans la mesure où il s'agit de quelque chose d'écrit, mais plutôt dans celle où ces romans sont une façon comme une autre de se projeter dans un ailleurs et de s'évader, de s'initier à tous un tas de choses, de faire des expériences et d'évoluer, de se développer personnellement, et avant tout de prendre du plaisir.
Du particulier au général, il en va de même pour les romans de J.K. Rowling et son fidèle Harry Potter, que je ne porte pas vraiment dans mon coeur, ou encore plus récemment de la saga de Stéphanie Mayer dont le film Twilight nous est arrivé. Même Marc Lévy, tiens. Du moment que le lecteur prenne du plaisir, c'est là l'essentiel. Reste ensuite la question importante de savoir s'il s'agit ou non de bonne littérature...

dimanche 16 août 2009

It's gonna be legend... - wait for it... - dary

Lorsque j'étais encore enfant, je devais avoir entre 6 et 8 ans, j'ai vu, sur le canapé avec mon père, sur Canal +, un très vieux film en noir et blanc qui m'avait traumatisé, ou marqué. Un homme, seul dans sa maison, faisait face chaque nuit à des hordes de vampires qui l'appelaient par son nom, tandis que le jour, il s'affairait pour survivre en tuant les vampires qui sommeillaient et en se réapprovisionnant en vivres. Ce qui a du me choquer à l'époque, c'était cette vision apocalyptique et surtout ce confinement du héros, dans sa maison alors que, chose horrible, des vampires l'appellent au dehors. Plus de dix ans ont passés depuis, je me souviens encore de ce film, mais impossible de trouver le titre de ce que je pense être un simple nanar de série B qui n'a laissé de trace que pour quelques amateurs de vieux cinéma horrifique.

Un midi, j'étais à table et mon père avait mis dans le lecteur DVD la galette de Je suis une légende, avec Will Smith. Je savais qu'il avait été tiré d'un roman, et, après le repas, je me lève en laissant en plan le début du film pour me renseigner sur ce livre de Richard Matheson. Sur la fiche Wikipedia du livre, on en apprend un peu sur le synopsis du livre (très différent de celui du film sus-cité). Bon sang, mais c'est l'histoire de mon film oublié, ça ! Pourtant, je suis certain que le héros n'était pas Charlton Heston, ce n'est donc pas Le Survivant. Après une petite vérification, mon film est la première adaptation du roman, sortie en 1964, avec Vincent Price (grand acteur de cinéma de genre, également connu pour être la voix ténébreuse du Thriller de Michael Jackson), Last Man on Earth. Je commande donc le livre, et je ne manquerai pas de vous parler de cette première adaptation dans un autre article si jamais je réussi à le trouver.

Avant de commencer ma chronique sur ce livre paru en 1954, j'aimerai juste décerner à l'édition que je possède la palme de la couverture de livre la plus idiote et la moins réussie de tous les temps. Pourquoi répéter deux fois Je suis une Légende ? C'est grotesque. Deuxième point, c'est quoi cette manie d'illustrer un livre par l'affiche d'un film qui s'en veut l'adaptation alors qu'en réalité, il n'y a pas grand chose de vraiment commun au film. New-York, c'est le nom new-age d'Ingleston, la ville du roman ? Je sais bien que c'est fait pour vendre en profitant de la sortie du film au cinéma ou en DVD, mais bordel c'est moche, et quand je vois le livre, j'ai envie de le jeter par la fenêtre. Heureusement que le contenu s'avère aussi bon que la couverture est mauvaise.

Roman d'anticipation écrit en 1954, Je suis une légende nous conte l'histoire de Robert Neville, dernier homme vivant d'Ingleston qui n'ait pas été contaminé par le vampirisme. Il tente de résister en se barricadant la nuit, et en s'affairant la journée à consolider ses défenses, à s'approvisionner en nourriture et à détruire les vampires aux alentours de chez lui. Solitude, nostalgie, questions existentielles. Pourquoi continuer de vivre alors que l'on est seul au monde ? Après alcoolisme et dépression, Robert Neville va tenter de s'attaquer aux causes de cette maladie en se lancant dans de grandes recherches.
Le mythe du vampirisme est ici attaqué de deux fronts. Tout d'abord, par l'angle classique des clichés habituels des vampires, ainsi l'on retrouve une scène analogue à une autre de Dracula. D'un autre côté, les clichés sont passés à la moulinette scientifique et tout devient rationnel par les yeux de Robert Neville qui nous explique pourquoi les pieux tuent les vampires et non les balles, etc... De plus, tout cela s'accompagne par une réflexion, toutefois sommaire et avec beaucoup de lieux communs, sur la solitude et la différence.

L'histoire est très intéressante et même si la langue de Richard Matheson n'a rien d'exceptionnel et utilise toujours les mêmes ressorts, l'on se laisse facilement porter par cette histoire du dernier homme au monde qui démonte à lui-seul le vampire et son mythe.


jeudi 13 août 2009

Hiroshima sans gêne

J'avais dit que j'en avais fini avec Hiroshima. Je le pensais moi aussi. J'avais même sorti un roman de Richard Matheson, Je suis une légende, mais la bombe atomique m'a rattrapé. Innocemment, je suis allé à la médiathèque avec ma copine et je me suis retrouvé par pur hasard au rayon des mangas, et vraiment par hasard, mon œil s'est attardé sur les dix tomes de Gen d'Hiroshima, de Keiji Nakazama. Survivant d'Hiroshima,où il perd son frère cadet et sa mère, il a commencé à raconter son histoire dans différentes séries mais c'est avec Gen d'Hiroshima qu'il rencontre un succès d'estime et commercial.

Je n'ai pour le moment lu que le premier tome (le deuxième étant emprunté), mais si la série de dix volumes tient cette qualité jusqu'au bout, Gen d'Hiroshima a tout pour être l'une des plus grandes séries de manga que je connaisse (je n'en connais pas beaucoup, d'accord, cela aide un petit peu). Le dessin est assez simple et rond, chaleureux et bien que les personnages souffrent, l'auteur n'hésite pas à nous faire sourire par la posture des personnages et leurs expressions. Sans trop m'avancer, je pense qu'il s'agit ici d'une sorte de retranscription affective de ce qu'il a pu vivre ou connaître à cette période auprès d'êtres chers, d'où ce dessin heureux.

Le premier tome ne s'intéresse pas tellement à la bombe atomique. Il s'agit du fil conducteur au cours de cette histoire qui débute au début de l'année 1945 pour aller jusqu'aux premières heures du 6 août 1945, et nous en avons quelques pages d'explications ainsi que de l'état de la guerre, mais il s'agit plus d'une remise en contexte qu'autre chose. Ce tome-ci s'attache donc à la vie en temps de guerre dans le Japon impérial, et l'embrigadement militaire des corps et des pensées est on ne peut mieux décrite. Si j'ai souvent parlé du désastre humanitaire qu'est la bombe atomique lancée par les États-Unis, je n'en oublie pas pour autant les atrocités commises par le Japon impérial. Keiji Nakazama nous raconte la vie d'une famille dont le père est un pacifiste avoué, qui se met de ce fait la population à dos et voit sa famille se faire humiliée pour cela. Dit comme cela, on peut penser que l'histoire est classique et qu'il s'agit de déjà vu. Eh bien pas du tout, car les personnages sont variés et hauts en couleurs et ont des réactions différentes devant l'armée, l'humiliation, la persécution, la famine qui tiraille le peuple japonais, la guerre, la maladie, etc... Le père fier de ses valeurs, la mère aimante et dévouée, l'aîné qui veut préserver l'honneur de sa famille, l'autre fils Gen toujours prêt à se battre, le cadet Shinji qui ne pense qu'à manger, etc... On suit pendant presque un tome les tribulations de cette famille qui a tout pour être malheureuse mais qui survit tant bien que mal en parvenant à nous faire sourire. Enfin ça, c'était jusqu'au 6 août 1945 à 8h15.

La bombe explose et durant les dix dernières pages du tome, le lecteur a droit aux quelques dizaines de minutes suivant la catastrophe. Le rire cède presque la place aux larmes tellement l'émotion est poignante et sans en dévoiler de trop, les dilemmes auxquels doit faire face Gen sont poignants, et Nakazama donne des visages à ceux que Gen doit abandonner, ces traits ronds et chaleureux qui caractérisent son dessin, il leur donne les traits de la vie alors qu'ils sont condamnés à mourir dans les flammes de l'incendie d'Hiroshima.


lundi 10 août 2009

Dites-nous comment survivre à notre folie

La seconde nouvelle du recueil Dites-nous comment survivre à notre folie d'Ôé, éponyme, est parue en et nous conte l'histoire d'un homme, coupé de sa mère, qui ignore comment a vécu son père lors des dernières années précédant la mort, qui attend impatiemment la naissance de son fils. Seulement, à sa naissance, le médecin lui annonce qu'il est atteint d'une malformation, et que l'opération le laissera pour mort, au mieux retardé mentalement.
Il ne faut pas être omniscient pour faire le rapprochement entre l'idée de base de cette nouvelle et la naissance en 1964 de l'enfant de Kenzaburô Ôé dans les mêmes conditions, comme je l'avais déjà évoqué dans mon articles sur ses Notes de Hiroshima.

Au fil du récit, l'homme réussit à tisser un lien de communication entre lui et son fils, mais est-ce cet enfant qui en a vraiment besoin, lui qui ne peut que répéter quelques mots qu'il entend, sans aucune logique ?
Kenzaburô Ôé explore et expose une situation qu'il a du vivre ou imaginer se produire dans sa vie réelle, et en parlant de lui, il parle de manière universelle, dans ce qui touche au rapport à l'autre et à la différence. Seulement, l'approche utilisée par le Prix Nobel de Littérature s'avère un brin tortueuse avec une langue bien moins précise que dans Gibier d'élevage. Il ne s'agit ici plus d'un narrateur enfant, mais les méandres de la psychologie paternelle sont difficiles à suivre. Le choix de ne pas attribuer de nom à ses personnages en dehors de l'enfant (Mori, ce qui en latin signifie "mort" et "idiot") renforce ce flou. Je ne critique pas ce choix, je l'ai moi-même fait pour mon premier écrit, mais dans ce cas, par le jeu de ressemblances entre les protagonistes, le vocabulaire vient à manquer pour désigner chacun des personnages, et le lecteur s'embrouille quelque peu.
En dehors de cela, qui nécessite une grande concentration de lecture et un total dévouement à la nouvelle, celle-ci reste d'un fort enseignement en ce qu'il s'agit des relations humaines et du problème rencontré par les parents d'enfants handicapés et du comportement qu'ils doivent adopter vis-à-vis de cet enfant, de ceux qui les entourent, mais également vis-à-vis d'eux-mêmes.


dimanche 9 août 2009

Digression atomique

En matière de presse, je suis généralement avare en compliments. Et lorsqu'il s'agit du Monde (ou plutôt de ce qu'il en reste), je suis même plutôt très virulent. Il faut dire que se contenter de reprendre les dépêches AFP, répéter la communication gouvernementale sans chercher à faire des articles de fond (en gros, faire leur devoir de journaliste), ou bien encore citer comme sources pour certains articles Wikipedia (!?), ça n'aide pas à l'indulgence.

L'anniversaire d'Hiroshima est passé presque inaperçu, un petit encart dans Le Monde et Libé, douze secondes au 20 heures de TF1. 9 août, je ne m'attends rien pour Nagasaki.
Erreur ! Le Monde nous a concocté un joli petit visuel interactif comme ils l'appellent sur Nagasaki. Bon, tout ce qui est factuel est très succinct et à l'intérêt très limité. Ce qui est intéressant, en fait, ce sont les témoignages de survivants, qui font écho aux grands thèmes développés dans la littérature de la bombe atomique dont j'ai chroniqué certains ouvrages récemment. Évidemment, les témoignages sont charcutés, montés n'importe comment, mais cela fait toujours un certain effet de voir un hibakusha parler de son expérience. Même si cela n'a pas grand chose à voir avec les livres, je pense que je me devais de mettre un lien vers ces témoignages après avoir parlé un long moment de la bombe atomique.

Le visuel interactif du Monde, c'est par ici.

lundi 3 août 2009

Robespierre, c'est ma tournée !

« Evariste Gamelin devait entrer en fonction le 14 septembre, lors de la réorganisation du Tribunal, divisé désormais en quatre sections, avec quinze jurés pour chacune. Les prisons regorgeaient ; l'accusateur public travaillait dix-huit heures par jour. Aux défaites des armées, aux révoltes des provinces, aux conspirations, aux complots, aux trahisons, la Convention opposait la terreur. Les dieux avaient soif. »
— Anatole France, Les Dieux ont Soif, IX.

La première fois que j'ai entendu parler d'Anatole France, ce fut par le biais d'un cours de français au collège, lorsque nous étudiions le Germinal de Zola, et pour présenter l'homme de l'Affaire Dreyfus, la professeur avait dit que son style réaliste ne plaisait pas à tout le monde à l'époque, citant une critique de la Terre, d'Anatole France, donc, je cite : "Que M. Emile Zola ait eu jadis, je ne dis pas un grand talent, mais un gros talent, il se peut qu'il en reste encore quelques lambeaux, cela est croyable, mais j'avoue que j'ai toutes les peines du monde à en convenir. Son oeuvre est mauvaise et il est de ces malheureux dont on peut dire qu'il vaudrait mieux qu'ils ne fussent pas nés." Et la dame d'ajouter ironiquement : "Mais regardez aujourd'hui, qui se souvient encore d'Anatole France ?" Grâce à vous, moi. J'ai eu envie de savoir ce qu'avait écrit ce vilain monsieur, qui, au passage, s'est réconcilié avec Zola lors de l'Affaire Dreyfus, a terminé comme l'un de ses plus proches amis, allant jusqu'à prononcer sur sa tombe un éloge funèbre. C'est ainsi que j'ai ouvert Les Dieux ont Soif.


Appel des dernières victimes de la terreur à la prison Saint Lazare à Paris les 7-9 Thermidor de l'an II, Charles-Louis MULLER (1815-1892)


« Citoyen, vous êtes investi d'une magistrature auguste et redoutable. Je vous félicite de prêter les lumières de votre conscience à un tribunal plus sûr et moins faillible peut-être que tout autre, parce qu'il recherche le bien et le mal, non point en eux-mêmes et dans leur essence, mais seulement par rapport à des intérêts tangibles et à des sentiments manifestes. Vous aurez à vous prononcer entre la haine et l'amour, ce qui se fait spontanément, non entre la vérité et l'erreur, dont le discernement est impossible au faible esprit des hommes. Jugeant d'après les mouvements de vos coeurs, vous ne risquerez pas de vous tromper, puisque le verdict sera bon pourvu qu'il contente les passions qui sont votre loi sacrée. Mais, c'est égal, si j'étais de votre président, je ferai comme Bridoie, je m'en rapporterais au sort des dés. En matière de justice, c'est encore le plus sûr. »
— Anatole France, Les Dieux ont Soif, VIII.

Les Dieux ont Soif est un roman assez méconnu qui pourtant retrace d'une manière spectaculairement juste l'une des périodes les plus tumultueuses de l'Histoire de France, la Terreur pendant la Révolution Française. Pour ceux qui n'entendent rien à cette période ou qui, comme moi, n'ont que des connaissances rudimentaires, l'édition Folio que je possède est agrémentée d'une multitude de notes qui rendent les choses plus simples pour le lecteur, mais il ne faut pas s'attendre à comprendre toutes les subtilités de la vie sous la Terreur sans quelques petites recherches à côté.

L'histoire que nous conte Anatole France est celle d'Evariste Gamelin, peintre raté, profondément patriote et révolutionnaire, jacobin, qui devient juré au tribunal révolutionnaire. Ce jeune personnage, qui marque par sa candeur et son innocence initiales, n'est pas le seul, et c'est une véritable fresque à laquelle nous avons affaire. L'on retrouve un peu tous les clichés de cette période : le clerc, la demoiselle enamourée, la fille de joie, l'aristocrate conspirationniste, le philosophe, etc... mais en aucun cas cela n'apparait vraiment dérangeant au fil de la lecture. Les scènes se succèdent, s'imbriquent dans un grand ensemble tragique que partagent ces quelques individus avec l'ensemble de la société française.

De l'idéalisme au fanatisme, voilà ce qui résumerait le mieux le chemin parcouru par Evariste Gamelin. Fou de Marat, fou de Robespierre, Gamelin suit la nouvelle religion d'Etat, la jacobine, qui remplace le christianisme. La société doit être purifiée de ses traîtres, et même si le travail est ingrat, il faut que la sainte guillotine fonctionne pour que la Révolution s'accomplisse et que les principes des Droits de l'Homme triomphent. En vient le moment où la Convention ne décide plus avec les hommes mais pour les hommes, imposant ce qu'il faut être et ce à quoi il faut tendre. La machine est lancée, l'arrêter sera difficile. Ce qui frappe, c'est que les personnages sont convaincus de la justesse de leur combat jusqu'au bout, et que même se sachant haïs, détestés par une population versatile, invoque le sens du sacrifice pour une société meilleure. Ainsi, dans un extrait, Gamelin explique que les gamins pourront vivre heureux dans le futur, grâce à ce qu'il accomplit, mais qu'à son nom, ils le maudiront pour tout ce qu'il a fait.

Cette versatilité de la population, de haïr ce que l'on a aimé sans jamais se souvenir, en omettant sciemment de s'en remémorer, tient également une place importante dans le roman. Cela m'a même parfois vraiment inspiré un dégoût profond pour certains personnages, ou pour la foule, la tendance s'amorçant vers la moitié du roman pour atteindre son paroxysme dans les dernières lignes, qui sont difficilement tenables sans faire une moue de dédain devant son livre. Cela rejoint en certains points les manipulations et les intrigues de La Ferme des Animaux de George Orwell, et comme le roman de l'auteur de 1984, Les Dieux ont Soif possède des côtés diablement contemporains qui font parfois peur.

Malgré une facette difficilement accessible, que l'on peut relativiser par la précision de l'édition de poche, ce roman s'adresse à une large cible car on y trouve une multitude de choses. Une fresque humaine, une œuvre politique, philosophique, ou simplement une excellente distraction au rythme des guillotines, Les Dieux ont Soif possède plusieurs visages, que je n'ai pu qu'effleurer superficiellement.

Le matin du 10 Thermidor an II, Lucien-Etienne MELINGUE (1841-1889)


« L'esprit d'Evariste, naturellement inquiet et scrupuleux, s'emplissait, aux leçons des Jacobins et au spectacle de la vie, de soupçons et d'alarmes. A la nuit, en suivant, pour se rendre chez Elodie, les rues mal éclairées, il croyait, par chaque soupirail, apercevoir dans la cave la planche aux faux assignats ; au fond de la boutique vide du boulanger ou de l'épicier il devinait des magasins regorgeant de vivres accaparés ; à travers les vitres étincelantes des traiteurs, il lui semblait entendre les propos des agioteurs qui préparaient la ruine du pays en vidant des bouteilles de vin de Beaune ou de Chablis ; dans les ruelles infectes, il apercevait les filles de joie prêtes à fouler aux pieds la cocarde nationale aux applaudissements de la jeunesse élégante ; il voyait partout des conspirateurs et des traîtres. Et il songeait : « République ! contre tant d'ennemis secrets ou déclatés, tu n'as qu'un secours. Sainte guillotine, sauve la patrie !... »
Elodie l'attendait dans sa petite chambre bleue, au-dessus de l'Amour peintre. Pour l'avertir qu'il pouvait entrer, elle mettait sur le rebord de la fenêtre son petit arrosoir vert, près du pot d'oeillets. Maintenant il lui faisait horreur, il lui apparaissait comme un monstre : elle avait peur de lui et elle l'adorait. Toute la nuit, pressés éperdument l'un contre l'autre, l'amant sanguinaire et la voluptueuse fille se donnaient en silence des baisers furieux. »
— Anatole France, Les Dieux ont Soif, XIII.

dimanche 2 août 2009

Endless Rain, Fall on my Heart

L'adaptation de Pluie Noire, de Masuji Ibuse, a été réalisée par Shohei Imamura et est sortie en 1989. Elle a notamment remporté deux prix au Festival de Cannes la même année : le prix spécial et le prix technique. Après avoir lu le roman, voir le film était une étape obligée. Que de difficultés pour trouver un tel film. Trop frileux pour débourser 15 euros pour un film qui pourrait ne pas me plaire, je l'ai cherché dans l'underground du net. Impossible de le trouver en version française, pas de trace de version originale sous-titrée français. C'est finalement en japonais sous-titré espagnol que j'ai pu regarder Pluie Noire.

Le film débute sur la chute de la bombe atomique sur Hiroshima, sans explication, en faisant appel au vécu du spectateur. Pas de gigantesque plan de destruction de la ville avec moults explosions comme on pourrait s'y attendre si l'évènement avait été traité par Michael Bay. Juste une image de la bombe, retenue dans les airs par un parachute, et l'explosion qui projette le personnage principal hors de son train. Il n'est jamais rien montré d'autre que ce qui est nécessaire à l'avancée de Shigematsu et de sa famille dans la Hiroshima dévastée. La tragédie (et le mot est véritablement celui-la lorsque l'on évoque ce film) est filmée en noir et blanc, renforçant l'aspect de justesse qui entoure chaque plan de la catastrophe. Les avancées des rescapés dans les rues ne durent pas longtemps, tout juste une quinzaine ou une vingtaine de minutes sur les deux heures de film, et tout est expédié avant la première heure du film avec un jeu de flashbacks entre 1945 et les années 1950. On retrouve tous les moments forts de la description de l'horreur du livre, jusqu'à un degré assez impressionnant, mais toujours dans le sens où cela sert le récit et n'est pas juste là comme accessoire de voyeurisme, et c'est sur ce point que le film est le plus fidèle en ce qui concerne la catastrophe. En dehors de cela, ce qui est raconté dans le roman n'est pas raconté, et tout le chemin du retour de Shigematsu jusque chez lui après l'explosion, puis ses différentes missions à travers les débris que lui confient son usine ne sont pas mentionnées, pas mises en scène. On y perd clairement, mais rendre une dix jours d'errances dans les ruines d'Hiroshima aurait été difficile et d'un point de vue cinématographique, aurait entrainé de gros problèmes de rythme.

En ce qui concerne la partie post-Hiroshima, elle ne respecte le roman que dans les grandes largeurs et l'on n'y retrouve qu'une poignée de scènes. Le réalisateur introduit de nouveaux personnages et de nouvelles situations, parfois de manière juste, parfois sans réel intérêt, ce qui pousse à se demander pourquoi avoir supprimé certaines scènes du livre. Le traitement de cette partie de la chronologie est juste mais manque de rythme, et tout s'essouffle après la première heure, quand l'ombre de Hiroshima est voilée et la capitulation du Japon annoncée. Les conséquences sur les hibakushas sont bien traitées, mais il n'y a rien de vraiment accrocheur dans tout cela. Le film ne se réveille qu'à un quart d'heure de la fin, quand Hiroshima revient hanter les personnages, et à travers de magnifiques plans, Imamura conclut son film avec beaucoup de dignité, comme il s'est efforcé de le faire tout au long de sa mise en scène du drame de Hiroshima.

mardi 28 juillet 2009

Gibier d'élevage

Le premier article de ce blog fut consacré à une nouvelle de Kenzaburô Ôé, Seventeen. J'y ai évoqué la prix Akutagawa (le plus important prix littéraire japonais) remporté en 1958 par son auteur pour Gibier d'élevage. Présente en première place dans le recueil de nouvelles Dites-nous comment survivre à notre folie (dont je chroniquerai plusieurs nouvelles au fil du temps, je ne peux pas faire un article globale étant donné la masse de choses à dire), je l'ai donc dévorée.

Voici bien une nouvelle qui n'a pas volé son prix. Durant la petite centaine de pages que dure le récit, jamais le rythme ne faiblit, et jamais le lecteur ne peut s'en détacher. Passons rapidement sur l'écriture d'Ôé, fine et ciselée, prenant le parti de l'émerveillement face à la nature et aux choses du fait de la condition du narrateur, simple enfant.

Durant la Seconde Guerre Mondiale, dans un village japonais de montagne, coupé isolé de "la ville" par la saison des pluies qui en a coupé l'accès, un avion américain s'écrase. Sur les trois passagers, un seul survit et est fait prisonnier. Il s'agit d'un Noir, un "nègre", et il devient l'attraction du village, et surtout des enfants qui le voient comme un animal à domestiquer. La nouvelle est racontée par les yeux d'un enfant, celui qui vit au-dessus de la geôle improvisée du prisonnier et qui doit lui amener à manger matin et soir car aucune femme ne veut s'approcher du "nègre". A la méfiance et à la peur devant cette "bête" succède la confiance, et le prisonnier entre dans l'univers des enfants.

Gibier d'élevage est une véritable parabole sur la différence et sur la vision de ce qu'est l'autre par rapport à soi, mais également ce que l'on est dans les yeux des autres. Le prisonnier est l'animal domestique des enfants, mais les enfants ne sont-ils pas ceux des adultes ?
Un autre aspect marquant à la lecture de cette nouvelle est la barrière du langage, et pourtant la proximité d'éléments universels à l'humanité, qui peuvent rapprocher des êtres, comme un sourire.


jeudi 23 juillet 2009

Tu n'as rien vu à Hiroshima

La fin (pour le moment) de ma découverte du Genbaku-Bungaku ne marque pas pour autant la fin de mon voyage littéraire à Hiroshima. Non, celui-ci s'achève avec un livre d'Edita Morris, journaliste et romancière suédoise, Les Fleurs d'Hiroshima, paru en 1961, afin de voir un autre regard sur la catastrophe que celui des Japonais.

Après lecture, mon avis est assez mitigé sur ce très court roman (120 pages environ). Cela respire grandement la naïveté, avec des personnages lisses sans vraiment d'aspérités : Yuka est une femme qui aime son mari irradié plus que tout, Ohatsu est une adolescente bercée par l'amour, Sam l'Américain est un doux rêveur, Fumio le malade est un véritable battant, et au contraire, la marieuse est perfide et cela se ressent dans son physique. Ce manichéisme si simpliste est je trouve un peu déplacé lorsque l'on traite d'un sujet comme celui de la bombe atomique. Ce thème n'est pas proprement japonais, il est mondial, universel, et les Nippons seuls ne sont pas les plus aptes à le traiter, c'est évident, mais tant de bien pensance dans un aussi court roman m'a mis mal à l'aise.
J'ai dit plus haut être pourtant mitigé, ce qui veut dire que j'ai tout de même trouvé de bons côtés à ce livre, car il en a. Le message qu'il véhicule, No More Hiroshima, parvient à frapper avec puissance le lecteur malgré son côté convenu, phénomène que l'on pourrait attribuer non pas à ce que Morris a écrit mais aux évènements qui sont en toile de fond. L'écriture est elle aussi simple, la romancière ne pouvant se détourner de sa formation journalistique. C'est simple, mais c'est efficace, comme l'on peut le voir dans le passage suivant, quand Yuko se précipite à l'hôpital où a été transporté son mari après une faiblesse.

« Oh ! il y a des années que je n'ai pas couru ainsi. Je vole littéralement dans notre rue sans lumière et je traverse le terrain vague où chaque matin j'amène mes vieilles amies, Nakano-san et Tamura-san. Le vent a défait mes cheveux qui me balayent le visage et m'aveuglent. Je poursuis ma course, à bout de souffle, trébuchant à chaque pas, courant toujours...
... Et, brusquement, j'ai l'impression de ne plus être seule, que partout, autour de moi, il y a des gens qui courent, qui courent... Ah oui, ce sont les fantômes. Il y a quinze ans, je courais ainsi dans les rues au milieu de la foule éperdue, et pendant quinze ans, ils ont continué à courir dans ma tête. Cette nuit, ils me poursuivent avec leurs visages carbonisés, avec les lambeaux de chair arrachés de leurs épaules. Je les reconnais. Ce sont eux que je vois dans mon cauchemar. Cette fille au visage rongé par les flammes, cet homme qui porte sa femme morte sur le dos, ils couraient avec moi ce jour-là. Ici, c'est un groupe d'écoliers, écroulés les uns sur les autres, tous morts. Là, c'est un chien, les pattes prises dans l'asphalte fondu. C'est ce qui nous attend tous si nous ne courons pas assez vite. Vite, vite, ou nous serons rôtis vivants. Il faut aussi que je retrouve maman. Loin devant moi, j'aperçois la ligne noire du fleuve et des ombres qui plongent dans ses eaux. Comme des torches vivantes, les cheveux en flammes, les femmes s'élancent du rivage en grappes serrées. Est-ce que maman est parmi elles ? Où est maman, où est-elle ? »
— Edita Morris, Les Fleurs d'Hiroshima, 15.

En somme, je pense que Les Fleurs d'Hiroshima peut être une bonne porte d'entrée au monde d'Hiroshima, tout en douceur, sans trop de violence morale ou physique. Dans cet univers atomique aseptisé où même la douleur et la mort ne semblent pas insurmontables, l'on touche du bout du doigt ce qu'est être un "vrai d'Hiroshima", pour reprendre l'expression de Kenzaburô Ôé dans ses Notes de Hiroshima mais l'on y touche tout de même, et l'on peut se rendre compte de l'effet positif que peut avoir ce genre de livre non pas dans le roman lui-même, mais dans ce qu'il suscite, et parmi les critiques que j'ai pu lire ici et là des Fleurs d'Hiroshima, les plus dithyrambiques étaient celles d'adolescents qui ont du lire ce livre en classe, et qui ont été marqué par le mal d'Hiroshima. Comme quoi, on peut ne pas être un grand livre mais faire un bien fou à ses lecteurs en entrouvrant une porte, pas beaucoup, mais juste assez pour que l'odeur de ces fleurs d'Hiroshima interpellent le lecteur. Et c'est déjà énorme.

Quelques semaines après l'explosion de la bombe, l'herbe et des fleurs ont commencé à repousser, redonnant espoir aux habitants de la ville dévastée quand les rumeurs en parlaient comme d'une terre qui ne pourrait plus être habitée pendant 75 ans.