jeudi 30 avril 2009

Lo de vie aux amours diluviennes

« Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-lii-ta : le bout de la langue fait trois petits pas le long du palais pour taper, à trois reprises, contre les dents. Lo. Lii. Ta.
Le matin, elle était Lo, simplement Lo, avec son mètre quarante-six et son unique chaussette. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l'école. Elle était Dolorès sur les pointillés. Mais dans mes bras, elle était toujours Lolita. »
— Vladimir Nabokov, Lolita, I, 1.

Je connais Lolita grâce à une ancienne amie, à qui je parlais sur un canal IRC. Un soir, celle-ci me raconte qu'elle est en train de regarder un film bizarre, Lolita, donc, où une jeune adolescente fait des "trucs cochons avec son beau-père lol". Curieux, sûrement un peu pervers, je lui demande de m'envoyer le film. A l'époque encore en 56k, ce fut la Poste qui me délivra le fameux divx, et qui plus est, en deux CDs. Ce n'était pas la version de Stanley Kubrick, mais celle d'Adrian Lyne, avec Jeremy Irons et la belle Dominique Swain. J'avais trouvé le film bon, même si je n'avais pas tout compris, et les scènes très suggestives. Cinq années ont passé, et je me plonge dans le Lolita de Nabokov.

Et c'est la révélation, l'explosion.

Le passage cité en haut de l'article doit être ce qui m'a été donné de plus beau à lire, à entendre, à voir. Je ne peux pas décréter ces phrases les plus marquantes de la littérature, car ma culture n'est que parcellaire et je ne peux me targuer de tout connaître et d'avoir étudié chaque mot de chaque auteur. Mais quand même, cela prend aux tripes, cela met tout de suite dans l'univers de Humbert Humbert, pour un voyage à ses côtés et à aux côtés de Dolorès, Dolly, Lola, Lolita.

Comment dissocier la prose de Nabokov de celle d'Humbert, ce nympholepte éperdument amoureux de sa Lolita ? Je ne peux qu'aborder ce roman que sous deux angles : celui de l'histoire, des personnages, et celui de l'écriture. Commençons par le premier, qui devrait éclairer le deuxième, l'inverse étant également vrai.

L'écriture est esthétique, un régal. La plume d'Humbert, de Nabokov, est agile et poétique. Elle manie les mots comme un peintre manierait le pinceau pour décrire non pas les décors, cela n'a que peu d'intérêt. La sensualité de Lolita, toutes ses caractéristiques, toutes les choses sans noms, Humbert nous en gratifie la vision en en définissant les contours par magie pure, si bien que sa Lolita est notre Lolita, cet enfant chéri. Je ne trouve pas les mots devant l'excellence et l'exactitude de la prose. Humbert joue avec le lecteur, utilisant tout le vocabulaire connu, diablement efficace car employé au bon moment, à la bonne occasion, tout en n'usant jamais de vulgarités, non, Humbert n'est pas de ce genre. Les pires horreurs sont décrites avec poésie, avec volupté. Le dégoût se mêlant à la beauté. Humbert joue avec son lecteur, pris dans sa névrose, change les noms, en glissant toujours une référence ténue ou visible à un livre, une pièce de théâtre, parodiant, psalmodiant, abusant des jeux de mots. Lire Humbert Humbert est un régal, il se joue de nous avec sa poésie pour nous transporter dans son monde plein de nymphettes, de dégoût et couronné, tout en haut, de ce ciel obscurci, par sa Dolorès, Lolita.

L'histoire, quant à elle, et je m'en rend compte à force d'écrire, ne peut être dissociée de cette écriture. Lolita est un tout, mais je vais faire de mon mieux pour paraître clair et précis, difficile en sortant de cette lecture tant les pensées se bousculent ; il faudrait des années pour percer la surface d'un livre comme celui-ci. Humbert Humbert, du pseudonyme que le nympholepte s'est choisi, aime les jeunes filles prépubères, les nymphettes, entre neuf et seize ans. Toutes les filles ne sont pas des nymphettes, et seuls ses yeux d'experts peuvent les voir. Délirant, malade, Humbert se fait ensorcelé par l'une de ces nymphettes, Dolorès Haze, surnommée Lolita. La passion d'Humbert pour Lolita, la jeunesse de Lolita et ses changements d'humeur, de sentiments, d'envies forment sinon un cocktail, un mélange explosif dont la gamine mène la danse, prenant vite conscience des avantages qu'elle peut tirer de la nympholepsie de cet homme.
Je trouve le "résumé" que je viens de faire bien incomplet, bien simple et facile, ne rendant pas hommage à l'oeuvre que je viens de lire.
Lolita, je pourrai en parler pendant des heures, sans arriver à structurer ce que je pense sans un terrible effort, tellement plus que tout, c'est la sensation que l'on éprouve en découvrant à la fois la magie de l'écriture et l'histoire d'Humbert de Lola qui n'est pas aisément descriptible.

Si je devais être concis, il y aura pour moi un avant et un après Lolita, si bien que je me désole de voir que je ne possède que l'édition de poche de cette oeuvre, ne lui rendant pas justice.
(Re)voir les films ne sera pas chose facile, tellement je risque d'être critique, mais je vais m'y risquer afin d'analyser la vision de Kubrick et de Lyne à la lecture que je viens de faire du livre de Nabokov. Cela ne peut être qu'instructif.


mercredi 29 avril 2009

Au nom de la rose


Me voilà de retour de Barcelone, où j'ai eu le plaisir de découvrir une agréable tradition, celle de la Sant Jordi.
Cette fête d'origine catalane se déroule le 23 avril, le jour de Saint-Georges, le patron de la région. La tradition, perpétuée depuis le Moyen-Âge, veut que la femme offre à son mâle un livre, et l'homme à sa douce une rose, car c'est bien connu qu'une femme ne sait pas lire.

Saint-Georges aurait été un militaire romain chrétien martyrisé au IVe siècle. Jacques de Voragine raconte son histoire dans La légende dorée, selon laquelle ce cher Georges aurait vaincu un dragon du sang duquel aurait jailli un rosier. Il offrit une rose à la princesse qui en retour lui donna un livre. Et par enchantement, tout le peuple se convertit au christianisme.

Le 23 avril est également, depuis 1996 et une décision de l'UNESCO, "Jour du livre et des droits d'auteur", qui a pour but, on l'aura deviné, de promouvoir le livre et de donner accès à la culture aux plus de personnes possibles.

Concrètement, cela s'illustre par des vendeurs de rose à tous les coins de rue, des librairies prises d'assaut avec des queues sortant parfois des bâtiments, et une foule compacte qui arpente les grandes artères de la ville à la recherche de la rose ou du livre qu'il faut, car c'est connu que l'on s'y prend toujours au dernier moment (il faut avouer que ça serait moins drôle, sinon).
Personnellement, contre une petite rose à 3€, j'ai eu droit au Maître et Marguerite, de Mikhaïl Boulgakov.
Que c'est bon d'être un mâle.

samedi 18 avril 2009

Bateman returns

Comment rendre l'atmosphère si particulière d'American Psycho, que j'ai décrite dans le billet qui lui est consacré, cette atmosphère si particulière pleine de nuances et d'évolutions dans l'approche et la considération du personnage, dans un film d'une heure et demi ? La tâche pouvait s'avérer ardu, c'est vrai. Et la tâche est à moitié réussie par Mary Harron.

Avant de passer au film, parlons des acteurs, ou plutôt de l'acteur : Christian Bale. Je ne suis pas très fan de son travail, dans Batman Begins, sa tête me fait vomir, mais force est de constater que là, là, il est Patrick Bateman et son interprétation est magistrale dans un rôle tout en subtilité. Vraiment impressionné par la prestation, il sauve à lui tout seul le film de la banalité.
Alors, que donne le film en lui-même, en tant qu'adaptation du roman de Bret Easton Ellis ? Déjà, dans l'aspect purement formel, mon oreille a été écorché à plusieurs reprises : Paul Owen est devenu Paul Allen, Timothy Price est maintenant Thimothy Bryce, par exemple. Ce ne sont que des détails, mais ça a suffit à me gâcher quelques dialogues.
Ensuite, le livre fait la part belle à la folie meurtrière de Pat Bateman, mais également à sa noyade progressive dans cette société de yuppies tous identiques. Cette dernière est extrêmement bien rendue, bien qu'en absence de mise en place d'une progression dans le traitement de Bateman, on perd l'essence de la trame du livre, mais l'on ne peut adapter un livre de 530 pages en une heure trente de film. Ce point est donc pardonnable.
En revanche, là où le bas blesse, c'est dans le traitement de la folie meurtrière de Patrick Bateman. Christian Bale est parfait lors de ces scènes, mais la réalisatrice hésite, attend, se dit qu'elle va y aller, et puis non. Les scènes de meurtre, en plus d'être peu nombreuses sont à la limite du parodique : on montre, on se ravise, on regarde d'un oeil avant de s'arrêter. Digne d'une très mauvaise série B.
Les monologues de Bateman sont bons pour nous mettre en perspective la psychologie du personnage, mais son cynisme est absent, le lissant un peu.
Et je ne parle pas de la fin, qui est beaucoup moins subtile que celle du roman. Ce n'est pas parce que la réalisatrice possède l'image qu'elle ne doit pas perdre en finesse, elle peut filmer tout en enlevant ses gros sabots.

En bref, American Psycho est peut-être un bon film, il est semble-t-il plutôt apprécié par les spectateurs, mais pour moi, en dehors de l'interprétation de Christian Bale, c'est une adaptation en demi-teinte.

La bande-annonce :



vendredi 17 avril 2009

Supplice

Me voilà de retour en Nipponie avec la lecture de deux nouvelles de Yukio Mishima, Ken et Martyre, issues du recueil Pèlerinage aux Trois Montagnes, ici regroupées en un seul petit volume à 2€, chez Folio. Ken a été rédigée en 1963 et Martyre en 1964.

Je dois admettre que je ne connaissais rien de Yukio Mishima avant de lire le recueil, j'ai été attiré par le petit prix, un peu le thème des nouvelles, mais également par la possibilité de découvrir un nouvel auteur. La seule chose que l'on m'ait dite lorsque l'on m'a vu lire le recueil, c'est que Mishima s'était suicidé en public, en 1970, d'un magnifique seppuku. Je ne vais donc pas en dire plus sur lui, vu que j'en savais encore moins lors de la lecture (aujourd'hui, cela a changé, et je ne peux que vous encourager à lire sa fiche sur Wikipedia, même si cela ne reste que Wikipedia).

Commençons par Ken. Cette nouvelle raconte l'histoire de jeunes étudiants membre d'un club universitaire de kendô, entre le chef Jirô, fort et parfait, le première année Mibu, en adoration devant le premier, et Kagawa, celui qui respecte le chef mais aspirerait à mieux. Autant le dire tout de suite, je me suis profondément ennuyé. L'écriture est très poétique, contemplative, mais cela étire sur la longueur un récit qui n'en a pas vraiment besoin, vu le peu d'évènements qui s'y produisent. Par-ci par-là traînent quelques métaphores poétiques vraiment belles, pleines de sens, mais qui n'arrivent pas à tirer vers le haut une histoire simple, voir simpliste. L'on pourra me dire que tout se trouve dans le non-dit entre ces personnages qui ne savent identifier leurs attirances, mais là encore, il n'y a aucune surprise, depuis les premières lignes la suite de l'histoire est tracée, et ne parlons pas de la chûte, qui arrive comme un cheveu sur la soupe après pourtant quatre-vingt pages d'un long développement. Je suis ressorti de cette lecture vraiment déçu.

Martyre, quant à elle, ne fait qu'une trentaine de pages, un peu moins ; et sa qualité n'a rien à voir avec la précédente nouvelle. Martyre est vraiment un récit que je ne qualifierai pas de prodigieux, mais qui m'a plus qu'agréablement surpris après la purge Ken. J'ai vraiment aimé cette nouvelle, peut-être que le thème m'a un peu plus interpellé que l'histoire de jeunes kendoka, car mettant en scène des adolescents dans un internat dans un jeu de persécution entre le caïd Hatakeyama et le souffre-douleur Watari, qui est pourtant plein de ressources. L'ambiguïté déjà présente dans Ken est ici clairement explicitée, peut-être un peu trop. Le compromis entre les deux nouvelles aurait été parfait, à mon avis. Au niveau de l'écriture, la contemplation laisse un peu la place à l'action et aux sentiments, l'écriture est beaucoup plus ciselée et pourrait-on dire façonnée pour que rien n'apparaisse superflu. La chûte parait un peu brute, rapide, mais entrant dans la forme de logique des deux adolescents et amenant le lecteur à reparcourir rapidement la nouvelle pour tenter d'apporter lui-même son explication à cette fin.

Ce petit recueil de deux nouvelles me laisse donc un goût amer apès vraiment un très long Ken, alors que Martyre, courte et percutante, est vraiment bonne. Alors, Mishima, qu'es-tu ? L'auteur de Ken ou celui de Martyre ? Probablement l'homme des deux, ce qui me poussera à lire autre chose de cet auteur, chose qui n'était pas gagnée après la première nouvelle...


dimanche 12 avril 2009

Bateman begins

Depuis que j'ai vu le titre d'American Psycho, de Bret Easton Ellis, une seule chose m'a trotté dans la tête, si jamais je devais en faire un billet sur mon blog : la chanson du même nom, des Misfits. Pour moi, les Misfits, c'était 1977-1983, avec Glenn Danzig. Aucune chance pour qu'American Psycho en musique ait un rapport avec le roman d'Ellis, ce qui aurait pu faire une bonne transition. Or, en regardant les paroles, quelle n'est pas ma surprise de ressentir exactement les mêmes thèmes que dans le roman, presque mot pour mot.

Inside a Wall Street mind a psycho lurks
Lines of cocaine cut in Hell
Obsessive hands gently grab your neck
Compulsively you'll die... I hate people

Whoa-oh, whoa-oh, Oh-Oh-Oh, whoa-oh
Struggling to breathe, go

The sweet asphyxiation and dismemberment
Sex puts me in the mood to make you die
Obsessive hands gently grab your neck
Look into sick eyes... I hate people

C'est Patrick Bateman qui est décrit ici, il ne peut en être autrement, je viens de vivre plus d'une semaine en sa troublante compagnie. Et en effet, les Misfits se sont reformés en 1995 (sans Danzig), et c'est du premier album des Resurrected Misfits, sorti en 1997 et intitulé, lui aussi, American Psycho (on va finir par s'y perdre, et encore, il y a le film et sa suite aussi, mais je ne les ai pas encore vu, ce sera donc pour une autre fois.).

Avec cette découverte, ma fameuse transition que je voulais tant n'en est que meilleure, car elle met bien en exergue la force qu'a pu avoir le roman d'Ellis sur le public américain. Les Misfits ne sont pas des experts de la finesse, nous sommes bien d'accord, ils sont classés dans le style Horror punk, ce n'est pas pour rien. Mais rien que cette violence ait pu engendré une chanson et le nom d'un album, c'est révélateur.

Avant d'aller plus loin, un portrait en quelques lignes de Bret Easton Ellis ? Très rapide, alors. Né en 1964, il est encore étudiant lorsqu'il publie son premier roman, Moins que zéro, en 1985, vendu à 50 000 exemplaires dès la première année. Il écrit en 1987 son second roman, Les lois de l'attraction, où apparait un certain Bateman, le même dont je vais vous tanné dans ce billet.
Bret Easton Ellis est considéré comme un nihiliste, lui-même se considérant plutôt comme un moraliste. Personnellement, n'ayant lu qu'American Psycho, je ne peux encore trancher, et cela m'importe peu pour l'instant. Il a pour habitude de mettre en scène de jeunes personnages dépravés, matérialistes, mais conscients et qui l'assument, d'où mon intérêt pour son dernier roman, Glamorama, que je vais sans doute commenter, et dont vous entenderez probablement parler ici un jour ou l'autre.

Bon, les Misfits, c'est bien, Bret Easton Ellis aussi, et si on passait à American Psycho ? Pas encore, il faut introduire l'oeuvre, et pour cela, commençons par l'histoire-même du manuscrit. Jugé trop violent et immoral (mysoginie, homophobie, et tout le reste) par l'éditeur d'Ellis, Simon & Schuster, American Psycho est refusé et ce malgré l'avancede 300 000 dollars déjà versés à l'auteur. Publié par Knopf, il se vend finalement à plusieurs millions d'exemplaires. Double banco pour Ellis, donc. Le livre étant au coeur du scandale, Ellis est obligé de prendre des gardes du corps, aux Etats-Unis tout du moins, car le scandale est bien moindre ailleurs (il est très bien acceuilli en France, par exemple).

Maintenant, passons au roman. Et non, je ne vais pas vous faire moi-même de résumé, de teaser, car je trouve la quatrième de couverture de l'édition 10-18 absolument géniale et juste. Je la copie donc ici :
"Je suis créatif, je suis jeune, [...] extrêmement motivé et extrêmement performant. Autrement dit, je suis foncièrement indispensable a la société ". Avec son sourire carnassier et ses costumes chics, Patrick Bateman correspond au profil type du jeune Yuppie des années Trump. Comme ses associés de la Chemical Bank, il est d'une ambition sans scrupules. Comme ses amis, il rythme ses soirées-cocktails de pauses cocaïne. À la seule différence que Patrick Bateman viole, torture et tue.
Bon, j'ai coupé la fin, ça cassait un peu le truc, finalement. Les présentations sont faites avec Bateman, maintenant. Il serait presque temps de parler du roman en lui-même, tiens.

Vous vous doutez bien que je n'ai pas écrit autant pour vous dire qu'American Psycho est une sombre merde, quoique j'aurai pu. De la sombre merde, ce livre en est bien loin, mais il convient de discerner deux temps dans l'appréciation du livre : celui de la lecture des 250 premières pages, et l'appréciation finale.
Franchement, tout le début du livre est d'un laborieux, j'ai cru étouffé devant les soirées au resto chic, avec les descriptions de tous les costumes portés par les personnages, marque par marque, chemise par chemise. Puis, vers la page 120, 130, apparaissent enfin les premiers indices de la folie meurtrière présentée dans la quatrième de couverture. Juste une mention en passant, comme ça, une demi-ligne, pas plus, d'un crime horrible commis la veille. Et le basculement s'opère peu à peu, car au début du livre, Patrick Bateman est encore sain d'esprit dans sa folie, il se contrôle en dehors de ses pulsions. Oui, American Psycho est une critique des années Trump, de la folie immobilière, du matérialisme américain sous Reagan, et tout ce qui s'en suit, évidemment. Mais là dedans, j'y ai surtout vu la perte de contrôle d'un homme qui ne peut plus faire face à ce qu'il est. Il n'est qu'une coquille vide, et le récit se fait de plus en plus incohérent, si bien que l'on se demande si tout cela n'est pas que fantasme.
Ce roman est celui de la solitude, la solitude de Bateman car personne ne peut le comprendre (c'est certain que comprendre quelqu'un qui trucide de jeunes femmes, les décapite, cloue leurs doigts, baise avec les cadavres et mange les intestins, ce n'est pas très facile, soit), mais surtout car personne ne l'écoute, ni même ne l'entend. Il a beau crier, s'époumonner, rien n'y fait, Bateman est seul, devant tous ces hommes et ces femmes qui ne pensent qu'à leur nombril, à leur dernière chemise et leur mousse pour cheveux. Moi, c'est ça que j'ai vu, la folie d'un homme devant un monde qui perd pied, un voyage sans issue quelque part, vers un endroit que Bateman ignore lui-même. Un soi fantasmé pour ne pas être comme les autres. Et le changement de narration, progressif, insoupçonnable tant il n'y a pas de rupture brusque, illustre parfaitement cela jusque la dernière ligne du livre. Alors même si la première centaine de pages peut sembler être un calvaire, il faut poursuivre car cela n'est qu'un pan d'une fresque que l'on ne peut réellement comprendre qu'à la fin de celle-ci.

Pour les âmes sensibles, certaines scènes sont proprement insoutenables, la torture est décrite si crûment et si froidement que cela en devient difficilement tenable dans certains passages. Pour ceux qui aiment le gore pour ce qu'il est, vous allez trouver ça jouissif, mais il serait dommage de s'arrêter à cela.


samedi 11 avril 2009

Un pavé dans la mare

Je viens de terminer American Psycho, de Bret Easton Ellis, dont je parlerai dans un billet futur, le temps que ça repose. Dans la forme, le bouquin est une belle bête, un beau pavé de 524 pages. D'accord, on a vu pire (Que celui qui a vu le bout de Guerre et Paix soit acclamé comme il se doit. Non, un seul tome, ça compte pas.). Mais enfin bon, les éditions 10-18 aiment bien remplir entièrement la page de caractères, ça donne l'impression d'être vraiment noyé dans le bouquin et de n'avoir aucune échappatoire.

Le "pavé" a des avantages, et des inconvénients. Celui-ci permet de se plonger entièrement dans une histoire, dans une atmosphère, afin de capter totalement l'esprit du lecteur.
Seulement, et cela m'est arrivé au milieu d'American Psycho (qui est un excellent livre, au demeurant), je me suis lassé d'être avec le même personnage depuis 300 pages, avec Patrick Bateman. Des choix de livres plus courts me permettent de varier mes envies et mes explorations dans les différents genres et les différentes oeuvres des auteurs, et je dois tenir cela du fait que je pense toujours à ce que je vais faire après : ce que je vais lire après ce livre, et encore après, je vois très loin.

C'est peut-être aussi le problème de mon écriture : je veux déjà écrire une autre histoire à peine au début d'une nouvelle.

dimanche 5 avril 2009

Morsure de rappel

« Mais ce n'est pas une œuvre de haine. Le pauvre être qui a causé toute cette souffrance est le plus malheureux de tous. Songez quelle sera sa joie à lui aussi quand, son double malfaisant étant détruit, la meilleure part de lui-même survivra, son âme immortelle. Vous devez avoir pitié de lui aussi, sans que cela empêche vos mains de le faire disparaître de ce monde. »
— Bram Stoker, Dracula, chapitre 23.

Mon histoire avec Dracula remonte au lycée, à la terminale. Ne voulant pas faire mon devoir de mathématiques, je flânais dans le C.D.I., attendant que les autres finissent leur travail pour recopier. Regardant les romans, je me suis trouvé nez à nez avec Dracula, d'un certain Bram Stoker. J'ignorais totalement que c'était lui qui l'avait écrit, et je ne savais pas non plus que la narration était épistolaire, comme me le dit la "dame du C.D.I.", qui me félicita pour mon choix.

On croit tout savoir de Dracula. On sait que Christopher Lee l'a joué. Que Francis Ford Coppola a réalisé son Dracula en 1992 avec la plus belle femme du monde à son époque dans le rôle de Mina, Winona Ryder. Que Dracula suce le sang de ses victimes et qu'il vit dans un château entouré de brume en Transylvanie.
Dracula n'est pas un méchant méchant, et sa "vie" ne se résume pas à mordre de frêles donzelles pour boire leur sang. Dans l'oeuvre originelle, d'ailleurs, jamais le point de vue du comte n'est abordé. On ne voit que par les yeux, ou plutôt par les écrits, des hommes qui l'affrontent.

Alors, qu'est Dracula ? Un vampire, bien sûr. Un être complexe, pour sur. Quelque chose que l'on ne peut pas saisir, l'ombre qui est affrontée ne peut être approchée, ses contours ne peuvent être délimités. Impossible de savoir, c'est ce qui trouble encore à la lecture du roman. Maintenant, tout le monde sait ce qu'est un vampire, ce qu'est le mythe de Dracula. Pourtant, à la lecture, le mystère reste intact.
Car ce Dracula là n'est pas celui que nous connaissons.