lundi 3 août 2009

Robespierre, c'est ma tournée !

« Evariste Gamelin devait entrer en fonction le 14 septembre, lors de la réorganisation du Tribunal, divisé désormais en quatre sections, avec quinze jurés pour chacune. Les prisons regorgeaient ; l'accusateur public travaillait dix-huit heures par jour. Aux défaites des armées, aux révoltes des provinces, aux conspirations, aux complots, aux trahisons, la Convention opposait la terreur. Les dieux avaient soif. »
— Anatole France, Les Dieux ont Soif, IX.

La première fois que j'ai entendu parler d'Anatole France, ce fut par le biais d'un cours de français au collège, lorsque nous étudiions le Germinal de Zola, et pour présenter l'homme de l'Affaire Dreyfus, la professeur avait dit que son style réaliste ne plaisait pas à tout le monde à l'époque, citant une critique de la Terre, d'Anatole France, donc, je cite : "Que M. Emile Zola ait eu jadis, je ne dis pas un grand talent, mais un gros talent, il se peut qu'il en reste encore quelques lambeaux, cela est croyable, mais j'avoue que j'ai toutes les peines du monde à en convenir. Son oeuvre est mauvaise et il est de ces malheureux dont on peut dire qu'il vaudrait mieux qu'ils ne fussent pas nés." Et la dame d'ajouter ironiquement : "Mais regardez aujourd'hui, qui se souvient encore d'Anatole France ?" Grâce à vous, moi. J'ai eu envie de savoir ce qu'avait écrit ce vilain monsieur, qui, au passage, s'est réconcilié avec Zola lors de l'Affaire Dreyfus, a terminé comme l'un de ses plus proches amis, allant jusqu'à prononcer sur sa tombe un éloge funèbre. C'est ainsi que j'ai ouvert Les Dieux ont Soif.


Appel des dernières victimes de la terreur à la prison Saint Lazare à Paris les 7-9 Thermidor de l'an II, Charles-Louis MULLER (1815-1892)


« Citoyen, vous êtes investi d'une magistrature auguste et redoutable. Je vous félicite de prêter les lumières de votre conscience à un tribunal plus sûr et moins faillible peut-être que tout autre, parce qu'il recherche le bien et le mal, non point en eux-mêmes et dans leur essence, mais seulement par rapport à des intérêts tangibles et à des sentiments manifestes. Vous aurez à vous prononcer entre la haine et l'amour, ce qui se fait spontanément, non entre la vérité et l'erreur, dont le discernement est impossible au faible esprit des hommes. Jugeant d'après les mouvements de vos coeurs, vous ne risquerez pas de vous tromper, puisque le verdict sera bon pourvu qu'il contente les passions qui sont votre loi sacrée. Mais, c'est égal, si j'étais de votre président, je ferai comme Bridoie, je m'en rapporterais au sort des dés. En matière de justice, c'est encore le plus sûr. »
— Anatole France, Les Dieux ont Soif, VIII.

Les Dieux ont Soif est un roman assez méconnu qui pourtant retrace d'une manière spectaculairement juste l'une des périodes les plus tumultueuses de l'Histoire de France, la Terreur pendant la Révolution Française. Pour ceux qui n'entendent rien à cette période ou qui, comme moi, n'ont que des connaissances rudimentaires, l'édition Folio que je possède est agrémentée d'une multitude de notes qui rendent les choses plus simples pour le lecteur, mais il ne faut pas s'attendre à comprendre toutes les subtilités de la vie sous la Terreur sans quelques petites recherches à côté.

L'histoire que nous conte Anatole France est celle d'Evariste Gamelin, peintre raté, profondément patriote et révolutionnaire, jacobin, qui devient juré au tribunal révolutionnaire. Ce jeune personnage, qui marque par sa candeur et son innocence initiales, n'est pas le seul, et c'est une véritable fresque à laquelle nous avons affaire. L'on retrouve un peu tous les clichés de cette période : le clerc, la demoiselle enamourée, la fille de joie, l'aristocrate conspirationniste, le philosophe, etc... mais en aucun cas cela n'apparait vraiment dérangeant au fil de la lecture. Les scènes se succèdent, s'imbriquent dans un grand ensemble tragique que partagent ces quelques individus avec l'ensemble de la société française.

De l'idéalisme au fanatisme, voilà ce qui résumerait le mieux le chemin parcouru par Evariste Gamelin. Fou de Marat, fou de Robespierre, Gamelin suit la nouvelle religion d'Etat, la jacobine, qui remplace le christianisme. La société doit être purifiée de ses traîtres, et même si le travail est ingrat, il faut que la sainte guillotine fonctionne pour que la Révolution s'accomplisse et que les principes des Droits de l'Homme triomphent. En vient le moment où la Convention ne décide plus avec les hommes mais pour les hommes, imposant ce qu'il faut être et ce à quoi il faut tendre. La machine est lancée, l'arrêter sera difficile. Ce qui frappe, c'est que les personnages sont convaincus de la justesse de leur combat jusqu'au bout, et que même se sachant haïs, détestés par une population versatile, invoque le sens du sacrifice pour une société meilleure. Ainsi, dans un extrait, Gamelin explique que les gamins pourront vivre heureux dans le futur, grâce à ce qu'il accomplit, mais qu'à son nom, ils le maudiront pour tout ce qu'il a fait.

Cette versatilité de la population, de haïr ce que l'on a aimé sans jamais se souvenir, en omettant sciemment de s'en remémorer, tient également une place importante dans le roman. Cela m'a même parfois vraiment inspiré un dégoût profond pour certains personnages, ou pour la foule, la tendance s'amorçant vers la moitié du roman pour atteindre son paroxysme dans les dernières lignes, qui sont difficilement tenables sans faire une moue de dédain devant son livre. Cela rejoint en certains points les manipulations et les intrigues de La Ferme des Animaux de George Orwell, et comme le roman de l'auteur de 1984, Les Dieux ont Soif possède des côtés diablement contemporains qui font parfois peur.

Malgré une facette difficilement accessible, que l'on peut relativiser par la précision de l'édition de poche, ce roman s'adresse à une large cible car on y trouve une multitude de choses. Une fresque humaine, une œuvre politique, philosophique, ou simplement une excellente distraction au rythme des guillotines, Les Dieux ont Soif possède plusieurs visages, que je n'ai pu qu'effleurer superficiellement.

Le matin du 10 Thermidor an II, Lucien-Etienne MELINGUE (1841-1889)


« L'esprit d'Evariste, naturellement inquiet et scrupuleux, s'emplissait, aux leçons des Jacobins et au spectacle de la vie, de soupçons et d'alarmes. A la nuit, en suivant, pour se rendre chez Elodie, les rues mal éclairées, il croyait, par chaque soupirail, apercevoir dans la cave la planche aux faux assignats ; au fond de la boutique vide du boulanger ou de l'épicier il devinait des magasins regorgeant de vivres accaparés ; à travers les vitres étincelantes des traiteurs, il lui semblait entendre les propos des agioteurs qui préparaient la ruine du pays en vidant des bouteilles de vin de Beaune ou de Chablis ; dans les ruelles infectes, il apercevait les filles de joie prêtes à fouler aux pieds la cocarde nationale aux applaudissements de la jeunesse élégante ; il voyait partout des conspirateurs et des traîtres. Et il songeait : « République ! contre tant d'ennemis secrets ou déclatés, tu n'as qu'un secours. Sainte guillotine, sauve la patrie !... »
Elodie l'attendait dans sa petite chambre bleue, au-dessus de l'Amour peintre. Pour l'avertir qu'il pouvait entrer, elle mettait sur le rebord de la fenêtre son petit arrosoir vert, près du pot d'oeillets. Maintenant il lui faisait horreur, il lui apparaissait comme un monstre : elle avait peur de lui et elle l'adorait. Toute la nuit, pressés éperdument l'un contre l'autre, l'amant sanguinaire et la voluptueuse fille se donnaient en silence des baisers furieux. »
— Anatole France, Les Dieux ont Soif, XIII.

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