lundi 23 février 2009

Monologues sur le plaisir, la lassitude et la mort

Ecstasy, Melancholia et Thanatos. Tels sont les trois livres composant cette trilogie intitulée par son auteur, Ryû Murakami, Monologues sur le plaisir, la lassitude et la mort.
Et cela fait deux jours que j'essaye d'écrire un article sur cette trilogie. Pour preuve que celle-ci me trouble. Il m'est impossible de la classer, d'en retirer quelque chose de net que je pourrai affirmer péremptoirement.

Peut-être commencer par présenter Ryû Murakami, à ne pas confondre avec Haruki Murakami, un autre auteur japonais. Né en 1952, Murakami est surtout connu pour ses premières oeuvres, dont Les Bébés de la Consigne Automatique, parue en 1980. Son univers est sombre, sans espoir, et présente un Japon en décadence ou l'individu est totalement prisonnier, ne trouvant son échappatoire (si cela en est une) dans la drogue et le sexe. A noter que le film de Takashi Miike, Audition, dont je suis un fervent admirateur se révèle être une adaptation d'une nouvelle de Murakami. Comme quoi, tout se recoupe... D'ailleurs, Murakami a écrit plusieurs scénarios, et réalisé un film : Tokyo Decadence.

Monologues sur le plaisir, la lassitude et la mort, donc. Cette trilogie est donc placée dans la deuxième partie de la bibliographie de l'auteur, Ecstasy a été écrit en 1993, Mélancholia en 1996 et Thanatos en 2001. Même si l'auteur peut avoir eu une vision globale dès le début de l'écriture, celle-ci n'a pas été réalisée en continue, d'où la totale déconnexion entre les trois récits, reprenant pourtant les mêmes bases. Chaque narrateur est différent, mais l'histoire fait intervenir les trois mêmes protagonistes : Keiko, Reiko et Yazaki, au centre d'une relation sado-masochiste et ambigüe. Globalement, chaque livre est le monologue de l'un des personnages : Ecstasy de Keiko, Mélancholia de Yazaki et Thanatos de Reiko. Chacun hypnotise le narrateur à sa manière, qui se retrouve pris au piège d'une fascination qu'il ne peut pas comprendre face à ces personnes extra-ordinaires. Keiko est une maîtresse sadique, Yazaki un riche producteur de comédies musicales tout à coup devenu SDF et Reiko une actrice dévouée à l'humiliation. Chacun a trouvé dans cette relation à trois (beaucoup d'autres filles ont partagé leurs folles nuits aux quatre coins du monde, et leur histoire nous est d'ailleurs contée avec force et dédain) un équilibre pour parvenir à une sorte de plénitude, en jouissant de la drogue et des plaisirs du sado-masochisme. Seulement, cette sorte de bonheur corporel, basé sur les prises de drogue et la pratique sexuelle toujours poussée plus loin n'est que factice et montre ses limites, séparant les trois protagonistes lorsque des sentiments se libèrent. S'il s'agit de sentiments, car Murakami reste flou, c'est au lecteur de faire un travail sur lui-même pour comprendre ces trois personnages.

L'écriture de Murakami est un régal, un bonheur. Il décrit les scènes de manière si imagée que parfois la nausée peut survenir, car il ne mâche pas ses mots. Ce n'est pas propret : il présente de face le sado-masochisme et son lot d'humiliation, de sperme, de merde, ainsi que la mort et les effets de la drogue. La colère survient devant le traitement que peuvent réserver Yazaki et Keiko à une nouvelle fille, la poussant au suicide. Pourtant, les trois personnages sont diablement humains et leur coque qui apparait solide comme un roc se fend de plus en plus, la lecture progressant dans les trois tomes.
Mais il ne faut pas se tromper, la lecture est difficile, tout est sombre et noir (un peu moins pour Thanatos, cependant, qui apparait comme une sorte de rédemption, dont je ne peux pas parler sous peine de dévoiler certaines clés), et Murakami ne peut pas se résoudre à se faire de happy end. Ni de fin, à vrai dire. Comme s'il n'arrivait pas à conclure, laissant le lecteur devant le fait : l'écriture s'arrête, les pages suivantes sont blanches et pourtant, l'histoire n'est pas terminée. On se doute du déroulement des évènements, à vrai dire, on sait, mais nous ne sommes pas surs, il est impossible de se réfugier dans le carcan rassurant du "c'est écrit, donc il va se passer cela", non, c'est impossible. Les monologues font travailler l'esprit du lecture après avoir refermé le livre. "Non, ce n'est pas possible, il ne peut pas faire ça." "Qui te dit qu'il le fera, est-ce écrit ?" C'est déroutant, gênant. L'impression de savoir sans savoir.

Ecstasy débute par une question, qu'un SDF pose au narrateur : "Et toi, tu sais pourquoi Van Gogh s'est taillé une oreille ?". Par là, Murakami explore la finitude des choses et l'accomplissement d'un art et sur la frustration devant l'apogée d'un talent, d'un travail, d'une passion. Construire la perfection puis la détruire, car rien de comparable ne pourra être construit, et cela est impossible à avouer.

Pour terminer cet article brouillon (comme mon esprit l'est après la lecture de cette oeuvre), je ne peux que conseiller cette trilogie de Murakami mais, vraiment, il faut être bien accroché et préparé. Je ne le répèterai pas : c'est noir et sale, et cela peut perturber, dégoûter et donner envie de jeter le livre.



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