dimanche 12 avril 2009

Bateman begins

Depuis que j'ai vu le titre d'American Psycho, de Bret Easton Ellis, une seule chose m'a trotté dans la tête, si jamais je devais en faire un billet sur mon blog : la chanson du même nom, des Misfits. Pour moi, les Misfits, c'était 1977-1983, avec Glenn Danzig. Aucune chance pour qu'American Psycho en musique ait un rapport avec le roman d'Ellis, ce qui aurait pu faire une bonne transition. Or, en regardant les paroles, quelle n'est pas ma surprise de ressentir exactement les mêmes thèmes que dans le roman, presque mot pour mot.

Inside a Wall Street mind a psycho lurks
Lines of cocaine cut in Hell
Obsessive hands gently grab your neck
Compulsively you'll die... I hate people

Whoa-oh, whoa-oh, Oh-Oh-Oh, whoa-oh
Struggling to breathe, go

The sweet asphyxiation and dismemberment
Sex puts me in the mood to make you die
Obsessive hands gently grab your neck
Look into sick eyes... I hate people

C'est Patrick Bateman qui est décrit ici, il ne peut en être autrement, je viens de vivre plus d'une semaine en sa troublante compagnie. Et en effet, les Misfits se sont reformés en 1995 (sans Danzig), et c'est du premier album des Resurrected Misfits, sorti en 1997 et intitulé, lui aussi, American Psycho (on va finir par s'y perdre, et encore, il y a le film et sa suite aussi, mais je ne les ai pas encore vu, ce sera donc pour une autre fois.).

Avec cette découverte, ma fameuse transition que je voulais tant n'en est que meilleure, car elle met bien en exergue la force qu'a pu avoir le roman d'Ellis sur le public américain. Les Misfits ne sont pas des experts de la finesse, nous sommes bien d'accord, ils sont classés dans le style Horror punk, ce n'est pas pour rien. Mais rien que cette violence ait pu engendré une chanson et le nom d'un album, c'est révélateur.

Avant d'aller plus loin, un portrait en quelques lignes de Bret Easton Ellis ? Très rapide, alors. Né en 1964, il est encore étudiant lorsqu'il publie son premier roman, Moins que zéro, en 1985, vendu à 50 000 exemplaires dès la première année. Il écrit en 1987 son second roman, Les lois de l'attraction, où apparait un certain Bateman, le même dont je vais vous tanné dans ce billet.
Bret Easton Ellis est considéré comme un nihiliste, lui-même se considérant plutôt comme un moraliste. Personnellement, n'ayant lu qu'American Psycho, je ne peux encore trancher, et cela m'importe peu pour l'instant. Il a pour habitude de mettre en scène de jeunes personnages dépravés, matérialistes, mais conscients et qui l'assument, d'où mon intérêt pour son dernier roman, Glamorama, que je vais sans doute commenter, et dont vous entenderez probablement parler ici un jour ou l'autre.

Bon, les Misfits, c'est bien, Bret Easton Ellis aussi, et si on passait à American Psycho ? Pas encore, il faut introduire l'oeuvre, et pour cela, commençons par l'histoire-même du manuscrit. Jugé trop violent et immoral (mysoginie, homophobie, et tout le reste) par l'éditeur d'Ellis, Simon & Schuster, American Psycho est refusé et ce malgré l'avancede 300 000 dollars déjà versés à l'auteur. Publié par Knopf, il se vend finalement à plusieurs millions d'exemplaires. Double banco pour Ellis, donc. Le livre étant au coeur du scandale, Ellis est obligé de prendre des gardes du corps, aux Etats-Unis tout du moins, car le scandale est bien moindre ailleurs (il est très bien acceuilli en France, par exemple).

Maintenant, passons au roman. Et non, je ne vais pas vous faire moi-même de résumé, de teaser, car je trouve la quatrième de couverture de l'édition 10-18 absolument géniale et juste. Je la copie donc ici :
"Je suis créatif, je suis jeune, [...] extrêmement motivé et extrêmement performant. Autrement dit, je suis foncièrement indispensable a la société ". Avec son sourire carnassier et ses costumes chics, Patrick Bateman correspond au profil type du jeune Yuppie des années Trump. Comme ses associés de la Chemical Bank, il est d'une ambition sans scrupules. Comme ses amis, il rythme ses soirées-cocktails de pauses cocaïne. À la seule différence que Patrick Bateman viole, torture et tue.
Bon, j'ai coupé la fin, ça cassait un peu le truc, finalement. Les présentations sont faites avec Bateman, maintenant. Il serait presque temps de parler du roman en lui-même, tiens.

Vous vous doutez bien que je n'ai pas écrit autant pour vous dire qu'American Psycho est une sombre merde, quoique j'aurai pu. De la sombre merde, ce livre en est bien loin, mais il convient de discerner deux temps dans l'appréciation du livre : celui de la lecture des 250 premières pages, et l'appréciation finale.
Franchement, tout le début du livre est d'un laborieux, j'ai cru étouffé devant les soirées au resto chic, avec les descriptions de tous les costumes portés par les personnages, marque par marque, chemise par chemise. Puis, vers la page 120, 130, apparaissent enfin les premiers indices de la folie meurtrière présentée dans la quatrième de couverture. Juste une mention en passant, comme ça, une demi-ligne, pas plus, d'un crime horrible commis la veille. Et le basculement s'opère peu à peu, car au début du livre, Patrick Bateman est encore sain d'esprit dans sa folie, il se contrôle en dehors de ses pulsions. Oui, American Psycho est une critique des années Trump, de la folie immobilière, du matérialisme américain sous Reagan, et tout ce qui s'en suit, évidemment. Mais là dedans, j'y ai surtout vu la perte de contrôle d'un homme qui ne peut plus faire face à ce qu'il est. Il n'est qu'une coquille vide, et le récit se fait de plus en plus incohérent, si bien que l'on se demande si tout cela n'est pas que fantasme.
Ce roman est celui de la solitude, la solitude de Bateman car personne ne peut le comprendre (c'est certain que comprendre quelqu'un qui trucide de jeunes femmes, les décapite, cloue leurs doigts, baise avec les cadavres et mange les intestins, ce n'est pas très facile, soit), mais surtout car personne ne l'écoute, ni même ne l'entend. Il a beau crier, s'époumonner, rien n'y fait, Bateman est seul, devant tous ces hommes et ces femmes qui ne pensent qu'à leur nombril, à leur dernière chemise et leur mousse pour cheveux. Moi, c'est ça que j'ai vu, la folie d'un homme devant un monde qui perd pied, un voyage sans issue quelque part, vers un endroit que Bateman ignore lui-même. Un soi fantasmé pour ne pas être comme les autres. Et le changement de narration, progressif, insoupçonnable tant il n'y a pas de rupture brusque, illustre parfaitement cela jusque la dernière ligne du livre. Alors même si la première centaine de pages peut sembler être un calvaire, il faut poursuivre car cela n'est qu'un pan d'une fresque que l'on ne peut réellement comprendre qu'à la fin de celle-ci.

Pour les âmes sensibles, certaines scènes sont proprement insoutenables, la torture est décrite si crûment et si froidement que cela en devient difficilement tenable dans certains passages. Pour ceux qui aiment le gore pour ce qu'il est, vous allez trouver ça jouissif, mais il serait dommage de s'arrêter à cela.


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