dimanche 16 août 2009

It's gonna be legend... - wait for it... - dary

Lorsque j'étais encore enfant, je devais avoir entre 6 et 8 ans, j'ai vu, sur le canapé avec mon père, sur Canal +, un très vieux film en noir et blanc qui m'avait traumatisé, ou marqué. Un homme, seul dans sa maison, faisait face chaque nuit à des hordes de vampires qui l'appelaient par son nom, tandis que le jour, il s'affairait pour survivre en tuant les vampires qui sommeillaient et en se réapprovisionnant en vivres. Ce qui a du me choquer à l'époque, c'était cette vision apocalyptique et surtout ce confinement du héros, dans sa maison alors que, chose horrible, des vampires l'appellent au dehors. Plus de dix ans ont passés depuis, je me souviens encore de ce film, mais impossible de trouver le titre de ce que je pense être un simple nanar de série B qui n'a laissé de trace que pour quelques amateurs de vieux cinéma horrifique.

Un midi, j'étais à table et mon père avait mis dans le lecteur DVD la galette de Je suis une légende, avec Will Smith. Je savais qu'il avait été tiré d'un roman, et, après le repas, je me lève en laissant en plan le début du film pour me renseigner sur ce livre de Richard Matheson. Sur la fiche Wikipedia du livre, on en apprend un peu sur le synopsis du livre (très différent de celui du film sus-cité). Bon sang, mais c'est l'histoire de mon film oublié, ça ! Pourtant, je suis certain que le héros n'était pas Charlton Heston, ce n'est donc pas Le Survivant. Après une petite vérification, mon film est la première adaptation du roman, sortie en 1964, avec Vincent Price (grand acteur de cinéma de genre, également connu pour être la voix ténébreuse du Thriller de Michael Jackson), Last Man on Earth. Je commande donc le livre, et je ne manquerai pas de vous parler de cette première adaptation dans un autre article si jamais je réussi à le trouver.

Avant de commencer ma chronique sur ce livre paru en 1954, j'aimerai juste décerner à l'édition que je possède la palme de la couverture de livre la plus idiote et la moins réussie de tous les temps. Pourquoi répéter deux fois Je suis une Légende ? C'est grotesque. Deuxième point, c'est quoi cette manie d'illustrer un livre par l'affiche d'un film qui s'en veut l'adaptation alors qu'en réalité, il n'y a pas grand chose de vraiment commun au film. New-York, c'est le nom new-age d'Ingleston, la ville du roman ? Je sais bien que c'est fait pour vendre en profitant de la sortie du film au cinéma ou en DVD, mais bordel c'est moche, et quand je vois le livre, j'ai envie de le jeter par la fenêtre. Heureusement que le contenu s'avère aussi bon que la couverture est mauvaise.

Roman d'anticipation écrit en 1954, Je suis une légende nous conte l'histoire de Robert Neville, dernier homme vivant d'Ingleston qui n'ait pas été contaminé par le vampirisme. Il tente de résister en se barricadant la nuit, et en s'affairant la journée à consolider ses défenses, à s'approvisionner en nourriture et à détruire les vampires aux alentours de chez lui. Solitude, nostalgie, questions existentielles. Pourquoi continuer de vivre alors que l'on est seul au monde ? Après alcoolisme et dépression, Robert Neville va tenter de s'attaquer aux causes de cette maladie en se lancant dans de grandes recherches.
Le mythe du vampirisme est ici attaqué de deux fronts. Tout d'abord, par l'angle classique des clichés habituels des vampires, ainsi l'on retrouve une scène analogue à une autre de Dracula. D'un autre côté, les clichés sont passés à la moulinette scientifique et tout devient rationnel par les yeux de Robert Neville qui nous explique pourquoi les pieux tuent les vampires et non les balles, etc... De plus, tout cela s'accompagne par une réflexion, toutefois sommaire et avec beaucoup de lieux communs, sur la solitude et la différence.

L'histoire est très intéressante et même si la langue de Richard Matheson n'a rien d'exceptionnel et utilise toujours les mêmes ressorts, l'on se laisse facilement porter par cette histoire du dernier homme au monde qui démonte à lui-seul le vampire et son mythe.


jeudi 13 août 2009

Hiroshima sans gêne

J'avais dit que j'en avais fini avec Hiroshima. Je le pensais moi aussi. J'avais même sorti un roman de Richard Matheson, Je suis une légende, mais la bombe atomique m'a rattrapé. Innocemment, je suis allé à la médiathèque avec ma copine et je me suis retrouvé par pur hasard au rayon des mangas, et vraiment par hasard, mon œil s'est attardé sur les dix tomes de Gen d'Hiroshima, de Keiji Nakazama. Survivant d'Hiroshima,où il perd son frère cadet et sa mère, il a commencé à raconter son histoire dans différentes séries mais c'est avec Gen d'Hiroshima qu'il rencontre un succès d'estime et commercial.

Je n'ai pour le moment lu que le premier tome (le deuxième étant emprunté), mais si la série de dix volumes tient cette qualité jusqu'au bout, Gen d'Hiroshima a tout pour être l'une des plus grandes séries de manga que je connaisse (je n'en connais pas beaucoup, d'accord, cela aide un petit peu). Le dessin est assez simple et rond, chaleureux et bien que les personnages souffrent, l'auteur n'hésite pas à nous faire sourire par la posture des personnages et leurs expressions. Sans trop m'avancer, je pense qu'il s'agit ici d'une sorte de retranscription affective de ce qu'il a pu vivre ou connaître à cette période auprès d'êtres chers, d'où ce dessin heureux.

Le premier tome ne s'intéresse pas tellement à la bombe atomique. Il s'agit du fil conducteur au cours de cette histoire qui débute au début de l'année 1945 pour aller jusqu'aux premières heures du 6 août 1945, et nous en avons quelques pages d'explications ainsi que de l'état de la guerre, mais il s'agit plus d'une remise en contexte qu'autre chose. Ce tome-ci s'attache donc à la vie en temps de guerre dans le Japon impérial, et l'embrigadement militaire des corps et des pensées est on ne peut mieux décrite. Si j'ai souvent parlé du désastre humanitaire qu'est la bombe atomique lancée par les États-Unis, je n'en oublie pas pour autant les atrocités commises par le Japon impérial. Keiji Nakazama nous raconte la vie d'une famille dont le père est un pacifiste avoué, qui se met de ce fait la population à dos et voit sa famille se faire humiliée pour cela. Dit comme cela, on peut penser que l'histoire est classique et qu'il s'agit de déjà vu. Eh bien pas du tout, car les personnages sont variés et hauts en couleurs et ont des réactions différentes devant l'armée, l'humiliation, la persécution, la famine qui tiraille le peuple japonais, la guerre, la maladie, etc... Le père fier de ses valeurs, la mère aimante et dévouée, l'aîné qui veut préserver l'honneur de sa famille, l'autre fils Gen toujours prêt à se battre, le cadet Shinji qui ne pense qu'à manger, etc... On suit pendant presque un tome les tribulations de cette famille qui a tout pour être malheureuse mais qui survit tant bien que mal en parvenant à nous faire sourire. Enfin ça, c'était jusqu'au 6 août 1945 à 8h15.

La bombe explose et durant les dix dernières pages du tome, le lecteur a droit aux quelques dizaines de minutes suivant la catastrophe. Le rire cède presque la place aux larmes tellement l'émotion est poignante et sans en dévoiler de trop, les dilemmes auxquels doit faire face Gen sont poignants, et Nakazama donne des visages à ceux que Gen doit abandonner, ces traits ronds et chaleureux qui caractérisent son dessin, il leur donne les traits de la vie alors qu'ils sont condamnés à mourir dans les flammes de l'incendie d'Hiroshima.


lundi 10 août 2009

Dites-nous comment survivre à notre folie

La seconde nouvelle du recueil Dites-nous comment survivre à notre folie d'Ôé, éponyme, est parue en et nous conte l'histoire d'un homme, coupé de sa mère, qui ignore comment a vécu son père lors des dernières années précédant la mort, qui attend impatiemment la naissance de son fils. Seulement, à sa naissance, le médecin lui annonce qu'il est atteint d'une malformation, et que l'opération le laissera pour mort, au mieux retardé mentalement.
Il ne faut pas être omniscient pour faire le rapprochement entre l'idée de base de cette nouvelle et la naissance en 1964 de l'enfant de Kenzaburô Ôé dans les mêmes conditions, comme je l'avais déjà évoqué dans mon articles sur ses Notes de Hiroshima.

Au fil du récit, l'homme réussit à tisser un lien de communication entre lui et son fils, mais est-ce cet enfant qui en a vraiment besoin, lui qui ne peut que répéter quelques mots qu'il entend, sans aucune logique ?
Kenzaburô Ôé explore et expose une situation qu'il a du vivre ou imaginer se produire dans sa vie réelle, et en parlant de lui, il parle de manière universelle, dans ce qui touche au rapport à l'autre et à la différence. Seulement, l'approche utilisée par le Prix Nobel de Littérature s'avère un brin tortueuse avec une langue bien moins précise que dans Gibier d'élevage. Il ne s'agit ici plus d'un narrateur enfant, mais les méandres de la psychologie paternelle sont difficiles à suivre. Le choix de ne pas attribuer de nom à ses personnages en dehors de l'enfant (Mori, ce qui en latin signifie "mort" et "idiot") renforce ce flou. Je ne critique pas ce choix, je l'ai moi-même fait pour mon premier écrit, mais dans ce cas, par le jeu de ressemblances entre les protagonistes, le vocabulaire vient à manquer pour désigner chacun des personnages, et le lecteur s'embrouille quelque peu.
En dehors de cela, qui nécessite une grande concentration de lecture et un total dévouement à la nouvelle, celle-ci reste d'un fort enseignement en ce qu'il s'agit des relations humaines et du problème rencontré par les parents d'enfants handicapés et du comportement qu'ils doivent adopter vis-à-vis de cet enfant, de ceux qui les entourent, mais également vis-à-vis d'eux-mêmes.


dimanche 9 août 2009

Digression atomique

En matière de presse, je suis généralement avare en compliments. Et lorsqu'il s'agit du Monde (ou plutôt de ce qu'il en reste), je suis même plutôt très virulent. Il faut dire que se contenter de reprendre les dépêches AFP, répéter la communication gouvernementale sans chercher à faire des articles de fond (en gros, faire leur devoir de journaliste), ou bien encore citer comme sources pour certains articles Wikipedia (!?), ça n'aide pas à l'indulgence.

L'anniversaire d'Hiroshima est passé presque inaperçu, un petit encart dans Le Monde et Libé, douze secondes au 20 heures de TF1. 9 août, je ne m'attends rien pour Nagasaki.
Erreur ! Le Monde nous a concocté un joli petit visuel interactif comme ils l'appellent sur Nagasaki. Bon, tout ce qui est factuel est très succinct et à l'intérêt très limité. Ce qui est intéressant, en fait, ce sont les témoignages de survivants, qui font écho aux grands thèmes développés dans la littérature de la bombe atomique dont j'ai chroniqué certains ouvrages récemment. Évidemment, les témoignages sont charcutés, montés n'importe comment, mais cela fait toujours un certain effet de voir un hibakusha parler de son expérience. Même si cela n'a pas grand chose à voir avec les livres, je pense que je me devais de mettre un lien vers ces témoignages après avoir parlé un long moment de la bombe atomique.

Le visuel interactif du Monde, c'est par ici.

lundi 3 août 2009

Robespierre, c'est ma tournée !

« Evariste Gamelin devait entrer en fonction le 14 septembre, lors de la réorganisation du Tribunal, divisé désormais en quatre sections, avec quinze jurés pour chacune. Les prisons regorgeaient ; l'accusateur public travaillait dix-huit heures par jour. Aux défaites des armées, aux révoltes des provinces, aux conspirations, aux complots, aux trahisons, la Convention opposait la terreur. Les dieux avaient soif. »
— Anatole France, Les Dieux ont Soif, IX.

La première fois que j'ai entendu parler d'Anatole France, ce fut par le biais d'un cours de français au collège, lorsque nous étudiions le Germinal de Zola, et pour présenter l'homme de l'Affaire Dreyfus, la professeur avait dit que son style réaliste ne plaisait pas à tout le monde à l'époque, citant une critique de la Terre, d'Anatole France, donc, je cite : "Que M. Emile Zola ait eu jadis, je ne dis pas un grand talent, mais un gros talent, il se peut qu'il en reste encore quelques lambeaux, cela est croyable, mais j'avoue que j'ai toutes les peines du monde à en convenir. Son oeuvre est mauvaise et il est de ces malheureux dont on peut dire qu'il vaudrait mieux qu'ils ne fussent pas nés." Et la dame d'ajouter ironiquement : "Mais regardez aujourd'hui, qui se souvient encore d'Anatole France ?" Grâce à vous, moi. J'ai eu envie de savoir ce qu'avait écrit ce vilain monsieur, qui, au passage, s'est réconcilié avec Zola lors de l'Affaire Dreyfus, a terminé comme l'un de ses plus proches amis, allant jusqu'à prononcer sur sa tombe un éloge funèbre. C'est ainsi que j'ai ouvert Les Dieux ont Soif.


Appel des dernières victimes de la terreur à la prison Saint Lazare à Paris les 7-9 Thermidor de l'an II, Charles-Louis MULLER (1815-1892)


« Citoyen, vous êtes investi d'une magistrature auguste et redoutable. Je vous félicite de prêter les lumières de votre conscience à un tribunal plus sûr et moins faillible peut-être que tout autre, parce qu'il recherche le bien et le mal, non point en eux-mêmes et dans leur essence, mais seulement par rapport à des intérêts tangibles et à des sentiments manifestes. Vous aurez à vous prononcer entre la haine et l'amour, ce qui se fait spontanément, non entre la vérité et l'erreur, dont le discernement est impossible au faible esprit des hommes. Jugeant d'après les mouvements de vos coeurs, vous ne risquerez pas de vous tromper, puisque le verdict sera bon pourvu qu'il contente les passions qui sont votre loi sacrée. Mais, c'est égal, si j'étais de votre président, je ferai comme Bridoie, je m'en rapporterais au sort des dés. En matière de justice, c'est encore le plus sûr. »
— Anatole France, Les Dieux ont Soif, VIII.

Les Dieux ont Soif est un roman assez méconnu qui pourtant retrace d'une manière spectaculairement juste l'une des périodes les plus tumultueuses de l'Histoire de France, la Terreur pendant la Révolution Française. Pour ceux qui n'entendent rien à cette période ou qui, comme moi, n'ont que des connaissances rudimentaires, l'édition Folio que je possède est agrémentée d'une multitude de notes qui rendent les choses plus simples pour le lecteur, mais il ne faut pas s'attendre à comprendre toutes les subtilités de la vie sous la Terreur sans quelques petites recherches à côté.

L'histoire que nous conte Anatole France est celle d'Evariste Gamelin, peintre raté, profondément patriote et révolutionnaire, jacobin, qui devient juré au tribunal révolutionnaire. Ce jeune personnage, qui marque par sa candeur et son innocence initiales, n'est pas le seul, et c'est une véritable fresque à laquelle nous avons affaire. L'on retrouve un peu tous les clichés de cette période : le clerc, la demoiselle enamourée, la fille de joie, l'aristocrate conspirationniste, le philosophe, etc... mais en aucun cas cela n'apparait vraiment dérangeant au fil de la lecture. Les scènes se succèdent, s'imbriquent dans un grand ensemble tragique que partagent ces quelques individus avec l'ensemble de la société française.

De l'idéalisme au fanatisme, voilà ce qui résumerait le mieux le chemin parcouru par Evariste Gamelin. Fou de Marat, fou de Robespierre, Gamelin suit la nouvelle religion d'Etat, la jacobine, qui remplace le christianisme. La société doit être purifiée de ses traîtres, et même si le travail est ingrat, il faut que la sainte guillotine fonctionne pour que la Révolution s'accomplisse et que les principes des Droits de l'Homme triomphent. En vient le moment où la Convention ne décide plus avec les hommes mais pour les hommes, imposant ce qu'il faut être et ce à quoi il faut tendre. La machine est lancée, l'arrêter sera difficile. Ce qui frappe, c'est que les personnages sont convaincus de la justesse de leur combat jusqu'au bout, et que même se sachant haïs, détestés par une population versatile, invoque le sens du sacrifice pour une société meilleure. Ainsi, dans un extrait, Gamelin explique que les gamins pourront vivre heureux dans le futur, grâce à ce qu'il accomplit, mais qu'à son nom, ils le maudiront pour tout ce qu'il a fait.

Cette versatilité de la population, de haïr ce que l'on a aimé sans jamais se souvenir, en omettant sciemment de s'en remémorer, tient également une place importante dans le roman. Cela m'a même parfois vraiment inspiré un dégoût profond pour certains personnages, ou pour la foule, la tendance s'amorçant vers la moitié du roman pour atteindre son paroxysme dans les dernières lignes, qui sont difficilement tenables sans faire une moue de dédain devant son livre. Cela rejoint en certains points les manipulations et les intrigues de La Ferme des Animaux de George Orwell, et comme le roman de l'auteur de 1984, Les Dieux ont Soif possède des côtés diablement contemporains qui font parfois peur.

Malgré une facette difficilement accessible, que l'on peut relativiser par la précision de l'édition de poche, ce roman s'adresse à une large cible car on y trouve une multitude de choses. Une fresque humaine, une œuvre politique, philosophique, ou simplement une excellente distraction au rythme des guillotines, Les Dieux ont Soif possède plusieurs visages, que je n'ai pu qu'effleurer superficiellement.

Le matin du 10 Thermidor an II, Lucien-Etienne MELINGUE (1841-1889)


« L'esprit d'Evariste, naturellement inquiet et scrupuleux, s'emplissait, aux leçons des Jacobins et au spectacle de la vie, de soupçons et d'alarmes. A la nuit, en suivant, pour se rendre chez Elodie, les rues mal éclairées, il croyait, par chaque soupirail, apercevoir dans la cave la planche aux faux assignats ; au fond de la boutique vide du boulanger ou de l'épicier il devinait des magasins regorgeant de vivres accaparés ; à travers les vitres étincelantes des traiteurs, il lui semblait entendre les propos des agioteurs qui préparaient la ruine du pays en vidant des bouteilles de vin de Beaune ou de Chablis ; dans les ruelles infectes, il apercevait les filles de joie prêtes à fouler aux pieds la cocarde nationale aux applaudissements de la jeunesse élégante ; il voyait partout des conspirateurs et des traîtres. Et il songeait : « République ! contre tant d'ennemis secrets ou déclatés, tu n'as qu'un secours. Sainte guillotine, sauve la patrie !... »
Elodie l'attendait dans sa petite chambre bleue, au-dessus de l'Amour peintre. Pour l'avertir qu'il pouvait entrer, elle mettait sur le rebord de la fenêtre son petit arrosoir vert, près du pot d'oeillets. Maintenant il lui faisait horreur, il lui apparaissait comme un monstre : elle avait peur de lui et elle l'adorait. Toute la nuit, pressés éperdument l'un contre l'autre, l'amant sanguinaire et la voluptueuse fille se donnaient en silence des baisers furieux. »
— Anatole France, Les Dieux ont Soif, XIII.

dimanche 2 août 2009

Endless Rain, Fall on my Heart

L'adaptation de Pluie Noire, de Masuji Ibuse, a été réalisée par Shohei Imamura et est sortie en 1989. Elle a notamment remporté deux prix au Festival de Cannes la même année : le prix spécial et le prix technique. Après avoir lu le roman, voir le film était une étape obligée. Que de difficultés pour trouver un tel film. Trop frileux pour débourser 15 euros pour un film qui pourrait ne pas me plaire, je l'ai cherché dans l'underground du net. Impossible de le trouver en version française, pas de trace de version originale sous-titrée français. C'est finalement en japonais sous-titré espagnol que j'ai pu regarder Pluie Noire.

Le film débute sur la chute de la bombe atomique sur Hiroshima, sans explication, en faisant appel au vécu du spectateur. Pas de gigantesque plan de destruction de la ville avec moults explosions comme on pourrait s'y attendre si l'évènement avait été traité par Michael Bay. Juste une image de la bombe, retenue dans les airs par un parachute, et l'explosion qui projette le personnage principal hors de son train. Il n'est jamais rien montré d'autre que ce qui est nécessaire à l'avancée de Shigematsu et de sa famille dans la Hiroshima dévastée. La tragédie (et le mot est véritablement celui-la lorsque l'on évoque ce film) est filmée en noir et blanc, renforçant l'aspect de justesse qui entoure chaque plan de la catastrophe. Les avancées des rescapés dans les rues ne durent pas longtemps, tout juste une quinzaine ou une vingtaine de minutes sur les deux heures de film, et tout est expédié avant la première heure du film avec un jeu de flashbacks entre 1945 et les années 1950. On retrouve tous les moments forts de la description de l'horreur du livre, jusqu'à un degré assez impressionnant, mais toujours dans le sens où cela sert le récit et n'est pas juste là comme accessoire de voyeurisme, et c'est sur ce point que le film est le plus fidèle en ce qui concerne la catastrophe. En dehors de cela, ce qui est raconté dans le roman n'est pas raconté, et tout le chemin du retour de Shigematsu jusque chez lui après l'explosion, puis ses différentes missions à travers les débris que lui confient son usine ne sont pas mentionnées, pas mises en scène. On y perd clairement, mais rendre une dix jours d'errances dans les ruines d'Hiroshima aurait été difficile et d'un point de vue cinématographique, aurait entrainé de gros problèmes de rythme.

En ce qui concerne la partie post-Hiroshima, elle ne respecte le roman que dans les grandes largeurs et l'on n'y retrouve qu'une poignée de scènes. Le réalisateur introduit de nouveaux personnages et de nouvelles situations, parfois de manière juste, parfois sans réel intérêt, ce qui pousse à se demander pourquoi avoir supprimé certaines scènes du livre. Le traitement de cette partie de la chronologie est juste mais manque de rythme, et tout s'essouffle après la première heure, quand l'ombre de Hiroshima est voilée et la capitulation du Japon annoncée. Les conséquences sur les hibakushas sont bien traitées, mais il n'y a rien de vraiment accrocheur dans tout cela. Le film ne se réveille qu'à un quart d'heure de la fin, quand Hiroshima revient hanter les personnages, et à travers de magnifiques plans, Imamura conclut son film avec beaucoup de dignité, comme il s'est efforcé de le faire tout au long de sa mise en scène du drame de Hiroshima.