lundi 16 février 2009

On n'est pas sérieux quand on a 17 ans.

Ce n'est pas du poème de Rimbaud que je vais ici parler, même s'il y en aurait des choses à dire, à raconter sur le sens des vers du poète, ou bien encore de l'interprétation qu'en a fait Léo Ferré.

Non, je vais parler ici d'une nouvelle de Kenzaburô Ôé, Seventeen, présent dans le recueil Le faste des morts, du nom de la principale nouvelle. Peut-être déjà replacer le personnage, et le contexte, car je pense que peu de personnes ici savent qui est Kenzaburô Ôé. Impossible de vous blâmer, je ne le connaissais pas non plus avant de tomber dessus par hasard au rayon Littérature Asiatique de la FNAC. Je pensais alors m'ouvrir à la littérature étrangère, et j'ai été conquis par la quatrième de couverture de ce tout petit livre d'à peine 200 pages. Kenzaburô Ôé, donc.
Sachez que ce monsieur, né en 1935, est Prix Nobel de Littérature 1994 (d'accord, pour ce que ça vaut réellement, ça ne veut pas dire grand chose, mais passons...), mais surtout, il marque un style d'écriture assez différent dans la littérature japonaise, par une prose tourmentée, saisissant tous les espaces du réel pour laisser place à la réflexion et à la torture du narrateur (ce qui me plait tant également chez Ryu Murakami), ce je, qui dans Seventeen va se transformer en s'affirmant, mais j'y reviendrai plus loin. Je ne suis pas un expert en littérature japonaise, je tâtonne un peu au hasard des librairies pour trouver ce qui pourrait me plaire, et ce n'est pas une surprise si Le faste des morts n'est pas le chef-d'oeuvre de la carrière d'Ôé. C'est juste ce qui a le plus attiré mon attention. Pour le côté factuel, je peux vous citer les oeuvres les plus connues de cet auteur... En vrac : Le jeu du siècle (1967), Déluge étendu jusque ma mort (1973), Le jeu contemporrain (1979), Les Femmes qui écoutent l'arbre de la pluie (1982), Lettres des années de nostalgie (1989).

Le faste des morts prend place avant le succès rencontré par l'auteur pour Le jeu du siècle en 1967. Ainsi, la nouvelle éponyme du recueil date de 1957, paru sous le titre original de Shisha no Ogori (d'accord, ça fait un peu "regardez, je sais écrire en japonais !", mais bon...), alors qu'Ôé n'a que 22 ans (bravo les matheux !). Il reçoit d'ailleurs le prix Akutagawa l'année suivante, qui est la plus haute distinction littéraire japonaise récompensant des nouvelles ou de courts romans, pour Shiiku, Gibier d'élevage dans la langue de Molière.
Arrêtons un peu cette digression et revenons au faste des morts. La seconde nouvelle du recueil s'intitule Le ramier (Hato) et date de 1958. Seventeen, quant à elle, est plus vieille, car écrite en 1961. On peut noter, sinon une évolution significative entre les trois nouvelles, au moins un sentiment de rupture partielle entre les deux premières et la dernière nouvelle. Le tout reste bien sur homogène, sinon il n'y aurait aucune raison de les rassembler en un seul et même recueil. Mais cela n'est pas mon sujet.

En effet, seule Seventeen m'intéresse ici. Vous rappellez vous comment vous étiez à dix-sept ans ? Certains ne devront pas fouiller très loin dans leur mémoire, et d'autres si, mais ce dont je me rappelle très bien, c'est qu'à cet âge là, j'étais très influençable. C'est un peu l'histoire du je de cette nouvelle.
Le Japon, en 1961, est encore marqué par la Seconde Guerre Mondiale, traumatisme immense pour toute la population. Les Américains occupent encore le territoire avec des bases militaires et la tension liée à la Guerre Froide est palpable, du fait de la présence de la Russie soviétique, de la Corée du Nord et de la République Populaire de Chine dans les environs. En résumé s'affrontent les conservateurs de droite et les socialistes de gauche.
Là-dedans, le je, lui, vient d'avoir dix-sept ans. Il vit dans l'indifférence générale au sein de sa famille, se veut de gauche pour faire "comme les copains". Seulement, des copains, le je n'en a pas beaucoup. Seul, il se sent comme un raté dans la structure scolaire japonaise et a le sentiment d'être en permanence humilié, penchant accentué par son fort péché onaniste qui lui fait sans cesse se poser des questions. Le je est à la recherche de la force, d'un autre soi pour s'affirmer. Et, malheureusement (ou heureusement pour le je ?), il le trouvera en rejoignant un parti d'extrême-droite.
D'ailleurs, en mai et juin 1960, d'énormes manifestations s'opposent au traité de sécurité américano-japonais, et en octobre de la même année, le leader du parti socialiste, Inejiro Asanuma, est assassiné par un militant d'extrême-droite de dix-sept ans. Impossible de ne pas voir une quelconque analogie, d'autant plus qu'Ôé l'assume parfaitement. La nouvelle possède une suite, Un jeune militant meurt, racontant justement comment le je de Seventeen assassine le leader socialiste. Cependant, cela a valu à Ôé de très vives réactions de l'extrême-droite, avec au menu harcèlement et menaces de mort, et il a ensuite refusé de publier les deux nouvelles en un seul volume. Il justifie également cela par le fait que pour lui, Seventeen se justifie intrinsèquement et n'a pas besoin d'Un jeune militant meurt pour exister.

Et comment lui donner tort ? La plongée du je apparait comme si réelle, si palpable dans Seventeen que cela en est presque insoutenable. Bien que le discours extrêmiste soit parodié, toutes les mécaniques de l'embrigadement sont exposées, le je étant une cible facile, qui veut prendre sa revanche sur le monde qui l'entoure. On ne sait pas quoi ressentir pendant la lecture : doit-on plaindre le je ou le conspuer de se faire embrigader si facilement ? Peut-on réellement critiquer une personne qui trouve son équilibre dans ce genre de mouvement, c'est n'est-ce pas la société qui l'a poussé à l'adopter ? Vaste débat, qui mérite un traitement bien meilleur et par quelqu'un de bien plus compétent que moi, je ne peux qu'ouvrir des pistes, pas les explorer.

Mais ce qui apparait encore plus horrifiant dans cette nouvelle, c'est que bien que les procédés de diffusion et de persuasion de ce message soient connus depuis des lustres, cette histoire reste pourtant toujours d'actualité, et d'autres je, bien réels, eux, vivent la même histoire.


1 commentaire:

  1. Merci pour ce petit billet car ça me donne envie d'aller voir du coté de la littérature nippon...De base je suis plutôt littérature américaine (Buckowsky, Fante père et fils, K.Dick dans ses œuvres non étiquetées SF, Richard Brautigan etc)

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