jeudi 18 juin 2009

Hiroshima, fleurs d'été

Le 6 août 1945, à 8h16 tombe sur Hiroshima la première bombe atomique. Trois jours plus tard, une seconde est larguée sur Nagasaki, le 9 août 1945 à 11h02. Le 15 août, le Japon capitule. Certains diront que ces bombardements étaient nécessaires pour mettre un terme rapide à la guerre, que cela a évité des pertes bien supérieures si la guerre s'était prolongée. Certes.
On dit également que c'était pour damer le pion aux soviétiques, qui entrent en guerre contre le Japon le 8 août et ainsi éviter une propagation du communisme. Certes.
Hiroshima : sur 310 000 personnes, entre 90 000 et 140 000 personnes seraient mortes.
Nagasaki : sur 250 000 personnes, entre 60 000 et 80 000 personnes seraient mortes.
Et des malades.
Eisenhower, dans ses mémoires, dira que "MacArhur pensait que le bombardement était complètement inutile d'un point de vue militaire".
Qu'ajouter ?

Comment percevoir ce qu'ont vécu les survivants d'Hiroshima et de Nagasaki ? Comment imaginer le traumatisme de toute la société japonaise ? Au début censurée par l'occupation américaine, une littérature de la bombe atomique est née, la Genbaku-bungaku, qui s'attache à décrire le spectacle de la dévastation.
C'est cette littérature que j'ai décidé d'explorer, et j'ai voulu commencer par un des piliers, considéré parfois comme le livre le plus abouti. Il s'agit d'Hiroshima, Fleurs d'Eté, de Tamiki Hara ; recueil de trois nouvelles qui couvre successivement l'avant, le pendant et l'après.
Pour parler de Tamiki Hara, je m'en remet à l'une des traductrices, Rose-Marie Makino-Fayolle, qui écrit dans l'Avant-propos : "Né en 1905 à Hiroshima, Tamiki Hara s'impose rapidement comme un écrivain et poète brillant, engagé politiquement. Au début de l'année 1945, brisé par le récent décès de sa femme, il revient dans sa ville natale et s'y trouve encore le 6 août, au moment où explose la bombe. Survivant traumatisé, Tamiki Hara continue d'écrire sans relâche, mais il se jette en 1951 sous un train de banlieue, dans un dernier cri de protestation contre la folie des hommes."
Trois nouvelles, donc : Prélude à la destruction, Fleurs d'été et Ruines. Dans ces trois nouvelles, les deux dernières sont à la première personne, et seule la première est narrée à la troisième, avec des prénoms différents de ceux de l'auteur, mais les similitudes avec les personnages des nouvelles suivantes pousse à penser qu'il s'agit d'un ensemble racontant la même histoire, celle de Tamiki Hara.

La première nouvelle nous conte donc ce qui se passe à l'été 1945 pour une famille d'Hiroshima. Plus la nouvelle avance, et plus la tension est palpable. Le Japon est de plus acculé sur ce front du Pacifique par les Etats-Unis et les ordres d'évacuation se font de plus en plus nombreux. Le Japon se prépare à défendre chèrement sa peau dans l'un de ses derniers bastions. Les privations marquent les esprits, la vie est rude. L'atmosphère se délite donc au fur et à mesure, les premiers bombardements pleuvent sur Hiroshima, puis approche août, et toujours des alertes, mais plus de bombardement. Le lecteur sait. La bombe A approche, jour après jour. Le narrateur aussi le sait, et apparaissent alors des parenthèses, procédé qu'il n'avait pas utilisé lors des cinquants pages précédentes. Elles s'attardent sur le sort de personnages dont c'est la dernière apparition dans la nouvelle. Ces parenthèses sont cliniques, et lorsqu'il s'agit du jeune neveu, ce ne peut qu'être terrible. Finalement, la nouvelle s'arrête sur une dernière phrase, "Il restait une quarantaine d'heures avant que la bombe atomique ne fût lâchée sur la ville."

Fleurs d'été s'attache elle à raconter la destruction d'Hiroshima. Cette destruction, justement, est vite racontée. L'explosion de la bombe ne prend pas beaucoup de temps. Pourquoi ? Car tout cela s'est passé très vite, et le narrateur ne sait pas qu'il s'agit d'un nouveau type de bombe qui est ici largué. Une sourde explosion, la destruction, ses yeux qui saignent. En une page, le lecteur sait ce qui s'est passé, et le reste de la nouvelle traite de l'immédiate réaction à l'explosion atomique. La ville est détruite et les familles éparpillées. Chacun fuit pour échapper à l'incendie qui ravage Hiroshima. Le narrateur est un "chanceux" il n'a pas de blessure grave, il peut s'occuper de ceux qui l'entourent, du mieux qu'il peut, en cherchant des gens qu'il connait, qu'il finit d'ailleurs par retrouver. Personne ne se doute de ce qui s'est passé. Les gens s'en foutent, en réalité. Ils souffrent, hommes, femmes, enfants. Les médecins font leur possible pour sauver le plus de personnes possible, mais les pertes sont considérables. Un homme cherche sa fille qui se rendait à l'école. Il fouille les restes de cette école, retourne les cadavres calcinés, cherche dans la rue, sur le chemin, pour finalement revenir à l'école, chercher sans fin un corps désintégré. L'écriture de Tamiki Hara est clinique, juste et ciselée, alors que l'on pourrait facilement sombrer dans le pathos et le larmoyant, ici c'est un ressenti immédiat face à l'incompréhension et l'ignorance d'un homme qui cherche un sens à sa vie après cela. En une trentaine de pages, il donne une leçon de ce qu'il a vécu à Hiroshima, son expérience personnelle. Ce n'est pas étonnant si cette nouvelle est considérée comme une référence littéraire au Japon, tant elle est juste.

Cette incompréhension de la catastrophe se retrouve bien évidemment dans Ruines, se passant quelques jours et semaines après l'atomisation d'Hiroshima. Un certain nombre de survivants meurent inexplicablement, lorsque des piqûres sont réalisées, les entailles s'infectent jusqu'à la mort, les enfants perdent leurs cheveux et blêmissent jusqu'au gris, les hommes ne se remettent pas de leur état d'extrême faiblesse. La maladie des atomisés tuent à petit feu les hibakusha (ceux qui ont été exposés aux radiations atomiques des explosions d'Hiroshima et Nagasaki), qui ignorent tout de ce qui se passe, et de ce qui s'est passé. Ruines, ce n'est pas que cela, c'est également la recherche éperdue de ceux qui se sont "volatilisés" dans l'explosion : cadavres calcinés ou désintégrés, tout le monde cherche quelqu'un à Hiroshima, et c'est sur cela que se clot la nouvelle et le recueil, avec l'exemple de M. Moki, à Shanghai lors de l'explosion qui ne retrouve à son retour ni femme, ni enfant, ni rien. Je ne peux m'empêcher de copier le dernier paragraphe de l'ouvrage :

"Et lorsqu'il montait dans le tramway où se côtoyaient toutes sortes de gens, M. Maki voyait également des passagers lui faire un signe de tête, de part et d'autre. Quand lui-même répondait sans bien réfléchir par un signe de tête, il arrivait qu'on lui dise par exemple : "Mais vous n'êtes pas M. Yamada !", car on l'avait pris pour un autre. Alors qu'il venait de raconter cette anecdote à un interlocuteur, M. Maki comprit qu'il n'était pas le seul à se faire saluer par un inconnu. En effet, il y avait continuellement à Hiroshima quelqu'un qui recherchait, maintenant encore, une personne."

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire