jeudi 23 juillet 2009

Tu n'as rien vu à Hiroshima

La fin (pour le moment) de ma découverte du Genbaku-Bungaku ne marque pas pour autant la fin de mon voyage littéraire à Hiroshima. Non, celui-ci s'achève avec un livre d'Edita Morris, journaliste et romancière suédoise, Les Fleurs d'Hiroshima, paru en 1961, afin de voir un autre regard sur la catastrophe que celui des Japonais.

Après lecture, mon avis est assez mitigé sur ce très court roman (120 pages environ). Cela respire grandement la naïveté, avec des personnages lisses sans vraiment d'aspérités : Yuka est une femme qui aime son mari irradié plus que tout, Ohatsu est une adolescente bercée par l'amour, Sam l'Américain est un doux rêveur, Fumio le malade est un véritable battant, et au contraire, la marieuse est perfide et cela se ressent dans son physique. Ce manichéisme si simpliste est je trouve un peu déplacé lorsque l'on traite d'un sujet comme celui de la bombe atomique. Ce thème n'est pas proprement japonais, il est mondial, universel, et les Nippons seuls ne sont pas les plus aptes à le traiter, c'est évident, mais tant de bien pensance dans un aussi court roman m'a mis mal à l'aise.
J'ai dit plus haut être pourtant mitigé, ce qui veut dire que j'ai tout de même trouvé de bons côtés à ce livre, car il en a. Le message qu'il véhicule, No More Hiroshima, parvient à frapper avec puissance le lecteur malgré son côté convenu, phénomène que l'on pourrait attribuer non pas à ce que Morris a écrit mais aux évènements qui sont en toile de fond. L'écriture est elle aussi simple, la romancière ne pouvant se détourner de sa formation journalistique. C'est simple, mais c'est efficace, comme l'on peut le voir dans le passage suivant, quand Yuko se précipite à l'hôpital où a été transporté son mari après une faiblesse.

« Oh ! il y a des années que je n'ai pas couru ainsi. Je vole littéralement dans notre rue sans lumière et je traverse le terrain vague où chaque matin j'amène mes vieilles amies, Nakano-san et Tamura-san. Le vent a défait mes cheveux qui me balayent le visage et m'aveuglent. Je poursuis ma course, à bout de souffle, trébuchant à chaque pas, courant toujours...
... Et, brusquement, j'ai l'impression de ne plus être seule, que partout, autour de moi, il y a des gens qui courent, qui courent... Ah oui, ce sont les fantômes. Il y a quinze ans, je courais ainsi dans les rues au milieu de la foule éperdue, et pendant quinze ans, ils ont continué à courir dans ma tête. Cette nuit, ils me poursuivent avec leurs visages carbonisés, avec les lambeaux de chair arrachés de leurs épaules. Je les reconnais. Ce sont eux que je vois dans mon cauchemar. Cette fille au visage rongé par les flammes, cet homme qui porte sa femme morte sur le dos, ils couraient avec moi ce jour-là. Ici, c'est un groupe d'écoliers, écroulés les uns sur les autres, tous morts. Là, c'est un chien, les pattes prises dans l'asphalte fondu. C'est ce qui nous attend tous si nous ne courons pas assez vite. Vite, vite, ou nous serons rôtis vivants. Il faut aussi que je retrouve maman. Loin devant moi, j'aperçois la ligne noire du fleuve et des ombres qui plongent dans ses eaux. Comme des torches vivantes, les cheveux en flammes, les femmes s'élancent du rivage en grappes serrées. Est-ce que maman est parmi elles ? Où est maman, où est-elle ? »
— Edita Morris, Les Fleurs d'Hiroshima, 15.

En somme, je pense que Les Fleurs d'Hiroshima peut être une bonne porte d'entrée au monde d'Hiroshima, tout en douceur, sans trop de violence morale ou physique. Dans cet univers atomique aseptisé où même la douleur et la mort ne semblent pas insurmontables, l'on touche du bout du doigt ce qu'est être un "vrai d'Hiroshima", pour reprendre l'expression de Kenzaburô Ôé dans ses Notes de Hiroshima mais l'on y touche tout de même, et l'on peut se rendre compte de l'effet positif que peut avoir ce genre de livre non pas dans le roman lui-même, mais dans ce qu'il suscite, et parmi les critiques que j'ai pu lire ici et là des Fleurs d'Hiroshima, les plus dithyrambiques étaient celles d'adolescents qui ont du lire ce livre en classe, et qui ont été marqué par le mal d'Hiroshima. Comme quoi, on peut ne pas être un grand livre mais faire un bien fou à ses lecteurs en entrouvrant une porte, pas beaucoup, mais juste assez pour que l'odeur de ces fleurs d'Hiroshima interpellent le lecteur. Et c'est déjà énorme.

Quelques semaines après l'explosion de la bombe, l'herbe et des fleurs ont commencé à repousser, redonnant espoir aux habitants de la ville dévastée quand les rumeurs en parlaient comme d'une terre qui ne pourrait plus être habitée pendant 75 ans.


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