lundi 14 septembre 2009

Orages d'acier

«Je portais encore, bien que j'eusse très chaud, ma longue capote et, comme le prescrivait le règlement, des gants. Quand nous avançâmes, une fureur guerrière s'empara de nous, comme si, de très loin, se déversait en nous la force de l'assaut. Elle arrivait avec tant de vigueur qu'un sentiment de bonheur, de sérénité me saisit.
L'immense volonté de destruction qui pesait sur ce champ de mort se concentrait dans les cerveaux, les plongeant dans une brume rouge. Sanglotant, balbutiant, nous nous lancions des phrases sans suite, et un spectateur non prévenu aurait peut-être imaginé que nous succombions sous l'excès de bonheur.
»
— Ernst Jünger, Orages d'acier.

Anglais tués à la sortie du village de Moreuil, mars 1918.

J'ai déjà abordé la Première Guerre Mondiale par deux angles, celui de la fiction avec le roman d'Erich Maria Remarque A l'Ouest, rien de nouveau, et par celui de l'Histoire avec l'ouvrage d'Annette Becker et de Stéphane Audoin-Rouzeau. Aujourd'hui, c'est d'un témoignage de cette guerre qu'il s'agit, le puissant Orages d'acier d'Ernst Jünger. Je n'ai pas envie de m'étendre sur l'auteur, controversé par la suite dans l'histoire mouvementée de l'Allemagne au XXe siècle, je préfère en dire le strict minimum pour comprendre qui il est en 1920 lorsqu'il rédige son livre. Il est un vétéran de la Première Guerre Mondiale dans laquelle il a été un engagé volontaire dès les premières heures, à 19 ans. Il a auparavant appartenu à la Légion étrangère française. Durant la guerre, il est blessé quatorze fois et reçoit la plus haute distinction militaire allemande quelques semaines avant la fin du conflit, la Croix pour le Mérite. C'est cette guerre qu'il raconte d'un bout à l'autre de son livre.

Contrairement à d'autres témoignages ou à certains fictions, Jünger n'insiste pas sur le pathos de la situation. Hors de question de pleurer ses camarades plus d'une ligne pour ceux qui étaient les plus proches de lui, ou bien encore de s'émouvoir lors de ses permissions en Allemagne. Celles-ci sont d'ailleurs totalement ignorées dans le récit, et la nostalgie de la patrie ne transparait qu'à quelques occasions. Orages d'acier, c'est la guerre, la guerre, et encore la guerre, racontée de manière clinique. Les morts sont expédiées, la plupart n'ont pas de noms et sont distingués par leurs blessures.
Jünger, lieutenant, a des hommes sous ses ordres et ainsi il aborde certaines questions d'ordre tactiques, notamment dans l'offensive, dans la défense et dans la gestion d'une tranchée. Toutes ces questions d'ordre militaire et clinique pourraient ennuyer le néophyte (il est nécessaire de maîtriser quelques notions sur la Première Guerre Mondiale pour comprendre la totalité du récit, bourré de termes techniques.) si Jünger ne parlait pas de ce qui faisait battre le cœur des hommes au combat, l'excitation d'être au front et la "joie guerrière", cette sorte d'auto-stimulation de groupe. La guerre transforme les hommes, et certains en sont conscients comme le lieutenant Jünger. Cependant, il n'y a aucune haine vis-à-vis de l'ennemi, et il reconnait leur valeur en tant qu'homme. La guerre est ce qu'elle est, et il est pour longtemps inenvisageable pour ce patriote allemand que l'Empire puisse connaître la défaite. Cependant, jamais Jünger ne dédouane l'individu de l'acte de tuer au profit de l'Etat. Le choix de tuer ou pas l'adversaire est personnel, même dans des circonstances exceptionnelles. Jünger explore ce choix à plusieurs reprises, face à des adversaires désarmés ou qui tendent des photos de leurs familles. Parfois, cependant, il ne se gêne pas pour tuer à vue. La nuance semble être ici, entre tuer un individu de manière impersonnelle, de loin, sans voir ce que fait la balle qui transperce le corps de l'ennemi, et tuer un être dont l'on peut voir les yeux, en face à face.

Orages d'acier est une œuvre de bruit, de fureur, de violence, de sang, de mort, mais également une oeuvre humaine, qui nous emmène dans la réalité des tranchées de la Première Guerre Mondiale et dans le cœur et le cerveau d'un vétéran, d'un héros de guerre.

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