jeudi 24 septembre 2009

Death Magnetic

La première fois que j'ai entendu parler de Truman Capote, c'était à l'occasion de la diffusion sur Canal + de son biopic réalisé en 2005. J'avais longtemps projeté de lire un de ses livres (De Sang-froid, pour faire dans l'originalité), mais je n'avais jamais vraiment sauté le pas jusqu'à ce que je tombe sur un petit Folio 2€ de sa plume lors d'un vide-grenier dans le XXe arrondissement de Paris. Arrachant le livre à 1€ (c'est dingue, entre Lille et Paris l'inflation qu'il peut y avoir au niveau du prix des livres sur une brocante), j'ai pu découvrir Truman Capote.

Ce livre, il s'agit de Cercueils sur mesure, paru dans le recueil Musique pour caméléons paru en 1980. Se mettant en scène, Truman Capote nous raconte un fait divers livré de manière journalistique si bien que l'on peut se demander si cela est réel ou pas. Jake Pepper, un ami du narrateur, enquête depuis 5 ans sur une affaire dans le Nord des Etats-Unis, dans laquelle chaque victime a reçu avant de mourir, par voie postale, un petit cercueil taillé de bois contenant une photo volée d'elle. L'affaire "bouffe" littéralement l'inspecteur, puis le narrateur par l'impossibilité de prouver la culpabilité du principal suspect.

Difficile de juger l'écriture de Capote lorsque son récit ne se compose presque que de dialogues, mais ceux-ci sont toniques, vivants et pleins de caractères. Le point principal d'un livre de ce genre reste l'intrigue et sa plausibilité si je puis dire. La première partie du livre est très bonne de ce niveau là, décrivant des crimes ingénieux et un mode opératoire savamment construit et logique. Cependant, une fois l'exposé des faits au narrateur passé, le rythme retombe dans une sorte de mollesse générale et perd peu à peu son lecteur. Il se passe un tas de choses, mais peu d'intéressantes, si bien que le livre se conclut sur une fin énigmatique qui ne donne aucune réponse et pose de nouvelles questions, mais d'une manière qui ne peut satisfaire ni celui féru de vérité qui ne saura pas et celui féru d'enquête, qui ne peut se faire de véritables idées, le livre étant centré sur un unique suspect.

En somme, un bon livre qu'on lit d'une traite, sans s'arrêter tellement l'intrigue policière est bonne, mais qui retombe comme un soufflé à la dernière ligne.


mardi 22 septembre 2009

Deux soeurs

Une autre grand figure du Japon littéraire du XXe siècle est Yasunari Kawabata, Prix Nobel en 1968. Grand ami de Yukio Mishima, il a en commun avec lui l'ambiguïté de sa sexualité. Ce n'est pas la seule ambiguïté qui transperce son œuvre, et c'est celle-ci qui va m'intéresser aujourd'hui, celle de la réception de l'ouverture du Japon.

Lorsque l'on commence à lire du Kawabata, l'on vous conseille généralement de lire Les Belles Endormies ou Pays de Neige. Ne voulant rien faire comme tout le monde, j'ai choisi de lire Kyôto, écrit en 1962. Roman un peu à part dans sa bibliographie, il raconte l'histoire de Chieko, jeune fille qui a été adoptée et qui découvre qu'elle a une soeur jumelle. Voilà, l'intrigue tient en une ligne, et je n'aurai guère besoin d'en dire plus. L'histoire est simpliste, les coïncidences prêtent plus à rire qu'autre chose tellement l'édifice est bancale. Mais le roman ne porte pas le prénom de son héroïne. Non, il s'agit de celui de la ville où l'action se déroule (tout du moins dans l'édition française, j'y reviendrai). Kyôto. En 1962, à la croisée des chemins. En fait, elle l'est depuis le début de l'ère Meiji (1868) et l'ouverture à l'Occident. Kawabata nous sert un catalogue des fêtes traditionnelles de la ville, de son histoire, de ses quartiers, rien ne nous est épargné. Ressort de tout cela une crainte, celle de voir la ville s'enlaidir avec l'ouverture à l'Occident et perdre de son identité, ainsi, par la voix de l'un de ses personnages, Kawabata se demande si Kyôto ne finira pas par ne plus être qu'un immense hôtel-restaurant. C'est ainsi que le titre du roman en japonais est "Koto", qui signifie littéralement "ancienne ville". L'on retrouve un peu la même chose, mais cette fois-ci attachée aux personnes. Ainsi, Chieko est une fille de la ville, beaucoup plus matérialiste que sa jumelle qui vit dans la montagne au milieu de la nature. Le fait qu'elles soient jumelles montre un Japon aux deux visages, schizophrène.

L'écriture est très simple, très contemplative (l'on a droit à de longues pages sur la nature, les feuilles et les fleurs), mais l'on a jamais vraiment l'impression que tout décolle, cela manque d'unité et cet assemblage disparate d'éléments divers ne parvient pas, à l'exception des vingt dernières pages, à emporter le lecteur.

lundi 14 septembre 2009

Orages d'acier

«Je portais encore, bien que j'eusse très chaud, ma longue capote et, comme le prescrivait le règlement, des gants. Quand nous avançâmes, une fureur guerrière s'empara de nous, comme si, de très loin, se déversait en nous la force de l'assaut. Elle arrivait avec tant de vigueur qu'un sentiment de bonheur, de sérénité me saisit.
L'immense volonté de destruction qui pesait sur ce champ de mort se concentrait dans les cerveaux, les plongeant dans une brume rouge. Sanglotant, balbutiant, nous nous lancions des phrases sans suite, et un spectateur non prévenu aurait peut-être imaginé que nous succombions sous l'excès de bonheur.
»
— Ernst Jünger, Orages d'acier.

Anglais tués à la sortie du village de Moreuil, mars 1918.

J'ai déjà abordé la Première Guerre Mondiale par deux angles, celui de la fiction avec le roman d'Erich Maria Remarque A l'Ouest, rien de nouveau, et par celui de l'Histoire avec l'ouvrage d'Annette Becker et de Stéphane Audoin-Rouzeau. Aujourd'hui, c'est d'un témoignage de cette guerre qu'il s'agit, le puissant Orages d'acier d'Ernst Jünger. Je n'ai pas envie de m'étendre sur l'auteur, controversé par la suite dans l'histoire mouvementée de l'Allemagne au XXe siècle, je préfère en dire le strict minimum pour comprendre qui il est en 1920 lorsqu'il rédige son livre. Il est un vétéran de la Première Guerre Mondiale dans laquelle il a été un engagé volontaire dès les premières heures, à 19 ans. Il a auparavant appartenu à la Légion étrangère française. Durant la guerre, il est blessé quatorze fois et reçoit la plus haute distinction militaire allemande quelques semaines avant la fin du conflit, la Croix pour le Mérite. C'est cette guerre qu'il raconte d'un bout à l'autre de son livre.

Contrairement à d'autres témoignages ou à certains fictions, Jünger n'insiste pas sur le pathos de la situation. Hors de question de pleurer ses camarades plus d'une ligne pour ceux qui étaient les plus proches de lui, ou bien encore de s'émouvoir lors de ses permissions en Allemagne. Celles-ci sont d'ailleurs totalement ignorées dans le récit, et la nostalgie de la patrie ne transparait qu'à quelques occasions. Orages d'acier, c'est la guerre, la guerre, et encore la guerre, racontée de manière clinique. Les morts sont expédiées, la plupart n'ont pas de noms et sont distingués par leurs blessures.
Jünger, lieutenant, a des hommes sous ses ordres et ainsi il aborde certaines questions d'ordre tactiques, notamment dans l'offensive, dans la défense et dans la gestion d'une tranchée. Toutes ces questions d'ordre militaire et clinique pourraient ennuyer le néophyte (il est nécessaire de maîtriser quelques notions sur la Première Guerre Mondiale pour comprendre la totalité du récit, bourré de termes techniques.) si Jünger ne parlait pas de ce qui faisait battre le cœur des hommes au combat, l'excitation d'être au front et la "joie guerrière", cette sorte d'auto-stimulation de groupe. La guerre transforme les hommes, et certains en sont conscients comme le lieutenant Jünger. Cependant, il n'y a aucune haine vis-à-vis de l'ennemi, et il reconnait leur valeur en tant qu'homme. La guerre est ce qu'elle est, et il est pour longtemps inenvisageable pour ce patriote allemand que l'Empire puisse connaître la défaite. Cependant, jamais Jünger ne dédouane l'individu de l'acte de tuer au profit de l'Etat. Le choix de tuer ou pas l'adversaire est personnel, même dans des circonstances exceptionnelles. Jünger explore ce choix à plusieurs reprises, face à des adversaires désarmés ou qui tendent des photos de leurs familles. Parfois, cependant, il ne se gêne pas pour tuer à vue. La nuance semble être ici, entre tuer un individu de manière impersonnelle, de loin, sans voir ce que fait la balle qui transperce le corps de l'ennemi, et tuer un être dont l'on peut voir les yeux, en face à face.

Orages d'acier est une œuvre de bruit, de fureur, de violence, de sang, de mort, mais également une oeuvre humaine, qui nous emmène dans la réalité des tranchées de la Première Guerre Mondiale et dans le cœur et le cerveau d'un vétéran, d'un héros de guerre.

vendredi 11 septembre 2009

Love Gun

Après les denses 800 pages de La Terre sous ses Pieds, me voilà devant Le Fusil de Chasse de Yasushi Inoué, 87 pages aérées. Le changement est radical.

Second roman de cet auteur important du paysage littéraire japonais du XXe siècle, d'ailleurs lauréat du prix Akutagawa, écrit en 1949, il nous plonge dans ce qui pourrait être la quintessence de l'amour et de l'adultère. Le roman s'ouvre sur une narration à la première personne où un homme raconte qu'il a envoyé à une revue sur la chasse un poème décriant quelque peu cette pratique. Il s'attend à recevoir une volée de bois vert de la part de lecteurs mais son poème passe inaperçu. Enfin presque. Un jour, il reçoit une lettre d'un dénommé Josuke, qui dit s'être parfaitement reconnu dans le chasseur solitaire décrit dans le poème, et confie qu'il s'agit du premier poème auquel il s'est intéressé de sa vie, et qu'il a trois lettres qu'il s'apprêtait à brûler, mais qu'il pense qu'elles pourraient servir à un poète. Quelques jours plus tard, le narrateur originel reçoit les trois lettres, trois faisceaux d'un amour, décrit de manière très contemplative, avec beaucoup de retenue vite balayée par des sentiments à vif.

Hokusai Katsushika, Le Mont Fuji

Les trois lettres proviennent de trois femmes différentes, trois victimes d'un mensonge adultérin, trois visions d'un même évènement qui change au gré des fantasmes de chaque femme. Trois femmes : la fille de la maîtresse qui vient de se suicider, la femme de Josuke, Midori, et enfin dans une lettre posthume la maîtresse. S'enchainent les très belles scènes, entre la fille qui ne comprend pas, la femme qui se tait pendant treize ans en souffrant et s'érige une forteresse, et la maitresse qui se replie dans son secret du péché. Et une question reste en suspens : jusqu'où aller par amour ?


mercredi 9 septembre 2009

And the ground beneath her feet...

« Pourquoi faisons-nous si grand cas des chanteurs ? Où réside le pouvoir des chansons ? Dans la pure étrangeté de l'existence du chant. La note, la gamme, l'accord ; les mélodies, les harmonies, les arrangements ; les symphonies, les raggas, les opéras chinois, le jazz, le blues : que de telles choses puissent exister, qu'on ait pu découvrir les intervalles et les écarts magiques que donnent les pauvres grappes de notes, tout cela dans l'empan, l'étendue de la main humaine, à partir de laquelle on peut construire nos cathédrales de son, c'est un mystère aussi alchimique que les mathématiques, le vin ou l'amour. Les oiseaux nous l'ont peut-être appris. Peut-être pas. Peut-être sommes-nous simplement des créatures à la recherche de l'extase. Nous n'en avons pas beaucoup. Nos vies ne sont pas ce que nous méritons, elles sont, mettons-nous bien d'accord, douloureusement insuffisantes. La chanson les transforme en quelque chose d'autre. La chanson nous montre un monde digne de notre ardent désir, elle nous montre notre être intime comme il devrait être, si nous étions dignes du monde.
Cinq mystères tiennent les clefs de l'invisible : l'acte amoureux, la naissance d'un enfant, la contemplation des grandes oeuvres d'art, la présence de la mort et du désastre, et l'écoute de la voix humaine qui chante. C'est à ces moments-là que les serrures de l'univers s'ouvrent et que nous avons un aperçu de ce qui est caché ; la nef de l'ineffable. A ces moments-là, la splendeur retombe sur nous : la ténébreuse splendeur des tremblements de terre, l'émerveillement insaisissable d'une vie nouvelle, le rayonnement du chant de Vina. »
— Salman Rushdie, La Terre sous ses Pieds, I.

La Terre sous ses Pieds.
J'ai mis du temps avant de m'attaquer à ce livre, cadeau de Saint Valentin (oui, nous sommes bien en septembre). Pavé de 800 pages écrit par l'auteur indien Salman Rushdie, ce roman avait tout pour me plaire, ce n'est pas pour rien que mon aimée me l'a offert : cela parle de rock n' roll. Seulement, cela n'aborde pas que ce thème qui est tout de même central dans le livre. En effet, il ne s'agit pas d'un roman sur l'accession à la gloire d'un groupe de rock, mais un roman global qui brasse des dizaines de vies de personnages d'horizons différents qui ont chacun leur part dans la grande histoire que nous conte Rushdie, entre l'Inde et l'Occident.

Si je devais exprimer ce roman en un mot, je choisirai celui de "fresque". Je ne vois pas comment il serait possible de dépeindre autrement l'histoire des vies de Vina Apsara et Ormus Cama, Eurydice et Orphée modernes. Une sorte d'immense tableau peuplé de personnages différents qui ajoutent à la beauté de la peinture. Tentons de résumer en quelques phrases l'intrigue principale du livre : après la mort de Vina Apsara, rock star mondiale ex-membre de VTO dans lequel elle formait avec son amour de toujours Ormus Cama un duo dantesque, Rai Merchant, un ami d'enfance et amant malheureux, décide de raconter leur histoire à tous les trois, depuis leur enfance à Bombay jusqu'aux plus hautes marches du monde.

Tout est excessif dans Ormus et Vina, de leur amour à leur célébrité. Véritables symboles de la musique et même du monde, leur accession au panthéon du rock n' roll ne nous est pas contée comme l'on pourrait s'y attendre, avec une foule de détails de concerts, de backstages, etc. Non, Rushdie, par la plume de Rai, fait comme si nous connaissions tous VTO, comme si nous les avions tous vus en concert jouer leurs titres les plus symboliques de leur temps. Dans ce monde parallèle où Kennedy n'est pas mort, le Watergate un roman et Lennon toujours en vie, ne pas connaître VTO est impossible. Le récit avance ainsi, se reposant sur des acquis supposés du lecteur, qui sont bien heureusement disséminés ici et là, autour de quelques détails, ou rappelés par Rai. Le lecteur est vraiment pris à parti et renforce son implication dans cette histoire.

Pour en revenir à la foule de personnages, ceux-ci ne sont pas traités superficiellement, avec un petit background gentillet et c'en est terminé. Ils sont fouillés et si pour cela, Rushdie doit passer une dizaine de pages rien que sur lui, il le fait et cela ne le gêne pas, et nous non plus. La diversité des situations et des histoires dans un seul roman est prodigieuse, et nous fait voyager d'un bout à l'autre de la terre, entre le Bombay de Rai, les jungles du sous-continent, l'Angleterre et son âge d'or du rock, New-York, le Mexique... Quelques passages sont un peu longuets mais tout est présent pour le divertissement du lecteur qui ne peut que trouver son compte, car il se passe toujours quelque chose.

« - Oui, dit Sir Darius. Mais que fait-on de l'extériorité ? Que fait-on de tout ce qu'on considère comme au ban de la société, au-dessus de la mêlée, indigne d'attention ? Que fait-on des bannis, des lépreux, des parias, des exilés, des ennemis, des revenants, des paradoxes ? Que fait-on de ceux qui sont éloignés ? Merde. (Il se retourna vers son enfant silencieux assis dans l'ombre de la pièce.) Que fait-on de Virus ?
- Je ne suis pas sûr de comprendre.
William Methwold était perdu.
- Que fait-on des gens qui ne peuvent appartenir à rien ?
- A quoi ? Appartenir à quoi ?
- A n'importe quoi. A n'importe qui. N'importe où. Ceux qui n'ont pas d'attaches psychiques. Des comètes qui traversent l'espace et qui échappent à tout champ gravitationnel.
- Si de tels gens existent, proposa Methwold, ne sont-ils pas rarae aves ? Très rares ? A-t-on vraiment besoin d'un quatrième concept pour les expliquer ? Ne sont-ils pas, eh bien, comme des vieux papiers et tout ce qu'on jette à la poubelle ? Ne sont-ils pas tout simplement l'exception à la règle ? Des pièces rapportées ? Ne peut-on pas simplement les rayer de la liste ? S'en débarrasser ? Les mettre à la porte du club ?
Mais Sir Darius Xerxes Cama n'écoutait pas. Debout devant la grande fenêtre de la bibliothèque, il regardait la mer d'Oman.
- Les seules personnes qui voient la totalité du tableau, murmura-t-il, sont celles qui sortent du cadre. »
— Salman Rushdie, La Terre sous ses Pieds, II.

Divertissement, oui, mais pas que. La réflexion n'est jamais absente des phrases de Salman Rushdie, entre les recherches du père d'Ormus, dont est extrait le passage ci-dessus, à propos du rapprochement entre les mythologies européennes et indiennes et des catégorisations des populations. Cette mythologie imprègne le texte et Rai ne se prive pas de faire moults références à Dionysos et aux mythes grecques en général. Ormus et Vina ne sont-ils pas les incarnations modernes d'Orphée et d'Eurydice (voir le dernier concert de VTO) ? Au travers même de ces personnages poussés à l'excès, l'on trouve aussi bien une critique des malaises de notre temps que de l'influence de l'Occident sur l'Orient et de l'Orient sur l'Occident et les visions qu'ont les deux l'un de l'autre.

Si je devais énoncer quelques critiques négatives à l'encontre du livre, ce serait peut-être qu'il s'éternise un peu sur la fin, mais surtout le fait que Rushdie ait rajouté une dose de spiritisme, de fantastique à son livre qui peut très bien passer à très petite dose (et encore) mais qui a parfois failli me faire fermer le livre tellement cela m'a dérangé dans ma lecture, un peu comme un gros cheveu dans une excellente soupe avec des pâtes en forme de lettres. Cependant, une fois digérées, cela n'empêche pas d'apprécier la globalité d'un roman qui divertit, qui fait voyager et qui fait réfléchir.

« - Epouse-moi.
Il enlève la bague à pierre de lune de la main droite de Vina et essaie de la lui passer à l'annulaire de la main gauche en signe de fiançailles.
- Epouse-moi tout de suite.
Vina se raidit, elle résiste au changement de doigt. Non, elle ne l'épousera pas. Elle refuse, le rejette carrément, sans prendre le temps de réfléchir. Mais elle ne résiste pas à la bague, elle l'accepte, elle ne peut s'empêcher de la regarder. (Le chauffeur de taxi, curieux, un Sikh, tend l'oreille.)
- Pourquoi ?
Le hurlement d'Ormus est pitoyable, même un peu pathétique. Vina offre au chauffeur de taxi plus de spectacle qu'il n'en avait espéré.
- Tu es le seul homme que j'aimerai jamais, promet-elle à Ormus. Mais crois-tu sérieusement que tu es le seul type avec qui je vais baiser ?
»
— Salman Rushdie, La Terre sous ses Pieds, IV.

En lisant les paroles des chansons de VTO disséminées ici et là dans le roman, je me suis dit qu'elles rendraient réellement bien en chanson. En cherchant des informations sur le livre, j'ai trouvé un clip de U2, The Ground Beneath her Feet. Salman Rushdie y faisant une apparition, le doute n'est pas permis, et les paroles sont exactement les mêmes que celles écrites par Ormus pour cette chanson-hommage à Vina Apsara.




A noter qu'une adaptation cinématographique par Raoul Ruiz était prévue en 2001 avec Salma Hayek dans le rôle de Vina Apsara, mais le temps a passé et je pense qu'il est certain que ce projet ne verra jamais le jour.

lundi 7 septembre 2009

Toute une histoire

Je reviens de la Braderie de Lille avec des images de tas de moules plein la tête mais surtout quelques objets forts utiles : une carte et trois livres. La carte est une carte scolaire de géographie des Etats-Unis comme l'on pouvait en trouver au collège pour ceux qui s'en souviennent. Quant aux livres, il y a un tome de l'Histoire de France de Michelet, Des Souris et des Hommes de Steinbeck et surtout un manuel d'Histoire de France de Cours Moyen datant de 1893, que j'ai pu acheté sans négocier pour deux euros ! Deux euros ! Je ne vous raconte pas le grand sourire que j'arborais quand j'ai tendu la petite pièce. Son état est plutôt bon pour un livre de plus d'un siècle, quelques pages qui ne sont plus reliées, et sur deux pages, de petites illustrations ont été découpées par l'écolier qui possédait ce livre.


J'ai du lire la moitié du manuel, principalement les chapitres que j'avais déjà étudié à la faculté et les évènements les plus sujets à caution et je ne peux m'empêcher de relever plusieurs passages qui expriment bien la vision du monde de l'époque, et la vision de l'histoire.

"C'est par le travail, par le long et patient effort des générations qui nous ont précédés que la Gaule, se transformant peu à peu, est devenue ce pays bien cultivé, riche, bien peuplé qui s'appelle la France."

"La Gaule devint alors une province romaine. Elle fut généralement heureuse sous l'administration des Romains. Les empereurs, surtout ceux de la famille des Antonins, firent beaucoup pour la prospérité de notre pays. [...] Ainsi la Gaule avait perdu son indépendance, mais elle reçut en échangela civilisation."

"L'invasion des Huns est une des plus terribles qui aient menacé la Gaule. Ces peuples de l'Asie avaient un aspect hideux."

"Les Arabes, fanatisés par leur prophète Mahomat, avaient conquis l'Afrique, l'Espagne et franchi les Pyrénées."

"La France aurait dû consacrer toutes ses ressources à cette lutte maritime contre l'Angleterre, l'aveir de nos colonies en dépendait ! Malheureusement elle se laissa entraîner dans une guerre continentale. Elle fit alliance, sans aucune raison, avec l'Autriche contre la Prusse que nous n'avions alors aucun intérêt à combattre. C'était une faute capitale ; de désastreux revers en furent la conséquence."

"La Révolution était prévue. L'inégalité des classes dans l'ancien régime, l'arbitraire du gouvernement, les souffrances du peuple l'avaient rendue inévitable."

"C'est dans la Saxe, près de la ville de Leipzig, qu'allait se livrer la mémorable bataille que les Allemands ont nommé bataille des nations. Pendant trois jours, 200 000 Français combattirent contre plus de 300 000 Allemands, Autrichiens et Russes. L'humanité n'avait pas vu encore une telle masse de soldats disciplinés se heurter sur un même champ de bataille. [...] [Napoléon] fut vaincu. L'Allemagne était perdue pour nous. Le sol de la patrie allait être envahie par l'étranger !"

"La France avait payé bien cher sa gloire ; pendant quinze ans, elle n'avait connu d'autre loi que la volonté de l'empereur. Puisse-t-elle ne pas oublier que la dictature d'un homme, fût-il un homme de génie, finit toujours par être fatale au peuple qui la subit ! L'Angleterre n'avait eu ni un Louis XIV ni un Napoléon ; mais, pour n'avoir jamais perdu l'amour et le souci de ses libertés publiques, elle sortait victorieuse d'une lutte qui avait accablé notre pays !"

"Depuis longtemps les Prussiens se préparaient à cette guerre qu'ils prévoyaient. Le service militaire obligatoire leur avait donné une armée considérable."

"L'Assemblée eut la douleur de subit les exigences impitoyables des Allemands vainqueurs. Elle dut céder l'Alsace,la Lorraine et payer une indemnité de cinq milliards. Grâce aux efforts patriotiques de Thiers, Belfort nous fut conservé."

"Il semblait que la France, après de si grandes épreuves, n'eût plus qu'à périr. Elle a cependant trouvé dans la fertilité de son sol et dans le travail de ses habitants de nouvelles ressources."

"Un de ces hardis explorateurs, le lieutenant Francis Garnier, fut assassiné, en 1873, par les bandes sauvages du Tonkin. [...] Le commandant Rivière s'empara de Hanoï, mais, voulant poursuivre avec quelques hommes seulement les bandes sauvages, [...] il tomba dans une embuscade et fut tué."

mardi 1 septembre 2009

Star by Star

Qu'est-ce qui est de la littérature, et qu'est-ce qui n'en est pas ? Vaste question, n'est-ce pas ?

Mon parcours de lecteur a débuté avec L'Île au Trésor puis Roald Dahl avant de connaître une longue période durant laquelle une série de livres parmi toutes prenait une place prépondérante, phagocytant mon temps de lecture jusqu'à l'extrême, ne laissant que peu de places au reste. Cette série, il s'agit de celle des romans dérivés des films Star Wars. Est-ce que ces livres qui utilisent une licence pour bien vendre peuvent être considérés comme de la littérature ou juste comme des livres écrits en quatrième vitesse pour être rapidement sortis, et rapidement achetés pour contenter le fan trop heureux de pouvoir lire des histoires ineptes de sabres lasers, de robot asmathique et de vaisseaux spatiaux ?

J'ai commencé ma plongée (en apnée) dans l'Univers Etendu de Star Wars avec la trilogie de la Croisade Noire du Jedi Fou de Thimothy Zahn pour remonter à la surface à la fin de la saga en 19 tomes du Nouvel Ordre Jedi. Entre cela, une centaine de romans, même ceux estampillés "Jeunesse" y sont passés, et je me suis même essayé aux versions anglaises en étant encore qu'en 4e. J'ai oublié une bonne partie du "savoir" que j'avais à l'époque, mais il me suffit de prendre sur son étagère Les Ombres de l'Empire, de Steve Perry, pour que toute une atmosphère remonte à la surface. C'est bien, je suis sentimental, mais est-ce qu'on peut vraiment qualifier cette chose de littérature ?

Ce débat a souvent animé la communauté Star Wars, et encore aujourd'hui, on tombe parfois, mêmes sur des sites tels que Le Monde, des messages d'Internautes dénigrant certaines "jeunes qui ne sont bons qu'à jouer à leurs jeux vidéos et à lire leurs bouquins de SF et de Fantasy, jamais ils ne connaîtront la beauté de la vie, blablabla", je passe tous les clichés. Aujourd'hui, je pense être en mesure de répondre en ce qui concerne l'Univers Etendu de Star Wars, et plus globalement, car l'on part du particulier pour ensuite élargir.

La licence Star Wars a connue deux éditeurs, et grosso modo, deux périodes : Bantam puis Del Rey ; le premier a lancé et pérennisé, le second a renouvelé. La première période correspond à des romans faisant suite à la première trilogie mettant en scène quasi-systématiquement Luke, Han et Leia qui sauvent la galaxie. Certains livres sont très bons, très agréables à lire, faisant rire et pleurer (la saga X-Wing, qui met en scène un escadron presque-inédit de pilotes), tout en côtoyant des romans d'une lourdeur et d'un ennui mortel (Barbara Hambly est devenu mythique dans la communauté Star Wars pour deux de ses romans d'une médiocrité abyssale). Que penser de cette période ? Hormis quelques éclats de quelques auteurs, l'on navigue dans ce que l'on pourrait appeler des romans de gare, des livres faciles à consommer qui apportent du plaisir sans réfléchir, mais je reviendrai sur ces notions plus loin.
Del Rey reprend le flambeau avec l'arrivée de la nouvelle trilogie et l'on assiste à un renouvellement des histoires, des personnages et des auteurs. La série du Nouvel Ordre Jedi en est une très bonne illustration : les héros traditionnels sont progressivement éclipsés par une nouvelle génération, les gentils perdent et meurent, l'Empire n'a que peu à voir dans l'intrigue principal, tout est inédit et démesuré, si bien que l'on ne sait pas bien ce qui peut arriver en ouvrant l'un des livres (le traumatisme de Vecteur Prime est encore prégnant chez de nombreux fans), et la série est écrite par de nouveaux auteurs (Denning, Salvatore) épaulés de vieux routards qui ont écrits les meilleurs moments de l'époque Bantam (Stackpole, Aalston). Parmi ces nouveaux auteurs, l'un d'eux retient particulièrement mon attention et a atteint mon panthéon de mes écrivains préférés malgré le fait qu'il soit estampillé "SF/Fantasy" : Matthew Stover. Il a écrit Le Traître pour le Nouvel Ordre Jedi, Point de Rupture pour la Guerre des Clones et a été chargé de la novélisation de la Revanche des Siths, le troisième épisode de la saga cinématographique, le dernier à être sorti (j'aime bien embrouiller les gens). Ce n'est pas un prix Nobel de Littérature, mais sa plume est excellente et il n'a pas écrit que de très bons livres Star Wars, il a écrit de très bons livres tout court. Quand j'écris la critique d'un quelconque roman, je pourrai très bien écrire à la suite celle de Point de Rupture sans que ce dernier ait à en pâlir par son statut de "roman Star Wars". Il n'aborde pas que les thèmes que l'on retrouve dans les films et qui ont été répétés à outrance pendant l'époque Bantam, il construit une véritable réflexion sur des choses très différentes avec un brio certain. Pour le plaisir, je ne peux m'empêcher de citer un extrait du Traître, qui m'avait profondément marqué à l'époque (je devais être en 3e) car cela sortait de l'ordinaire des descriptions de combat des autres romans de la série.

« Ils se ruent sur lui, un par un, en un flot continu, chaque guerrier cherchant la gloire d'un combat singulier honorable.
Puis ils arrivent deux par deux.
Quand ils commencent à attaquer par groupe, ils doivent piétiner les cadavres de leurs camarades pour atteindre le Jedi. Un monceau de cadavres.

Qui se transforme vite en rempart...
Ganner Rhysode se construit une forteresse de morts.

[...]
Pour tenir le passage, il n'est pas suffisant de tuer et de blesser, ni d'être calme et attristé.

Pour tenir le passage, il ne doit pas seulement prendre des vies, mais le faire sans effort, avec insouciance et en riant joyeusement.

Pour tenir le passage, il doit danser, virevolter, sauter, tourbillonner et appeler à lui d'autres adversaires. D'autres victimes.
Il doit les obliger à hésiter à l'affronter.

Leur faire connaître la peur.
Et il a trouvé l'incantation magique qui a détruit les barrages, en lui, et libéré les flots.
Personne ne passera. Il manie la lame d'un héros tombé au combat. Maintenant, c'est lui le héros, et ses ennemis tomberont.
Il s'élève.

La Force gronde en lui, à travers lui, et il lui répond. En renonçant à tout contrôle, en abandonnant la pensée, en réagissant seulement à une vgue de passion et de joie, il trouve un pouvoir dont il n'aurait jamais osé rêver.
Il est devenu la bataille.
[...]

Ganner Rhysode ignore tout de la texture du corail qui couvre les murs, de la qualité de la lumière, ou du nombre d'adversaires qu'il combat. En a-t-il ffronté une dizaine ? Une centaine ? Combien on été traînés en sécurité après avoir récolté des blessures graves ? Combien gisent dans le brouillard sulfureux ?

Il ne s'en souvient ps, car il n'a plus de mémoire. Pour lui, il n'existe plus ni passé ni avenir.
Il n'a plus conscience de lui-même. Ni des Yuuzhan Vong. Il est devenu les guerriers qu'il combat, se tuant lui-même à chaque fois que l'un d'eux périt. Il n'existe plus de Ganner Rhysode. Plus de Yuuzhan Vong, plus de Jedi.
Il ne reste que les danseurs et la danse.

Dans la galaxie, désormais, tout est mouvement.
Tout est danse.

Tout
est. »
— Matthew Stover, Le Traître, XIV.

Cela peut paraître convenu dans une esthétique un peu surfaite que l'on aurait l'habitude de rencontrer dans ce qui veut se donner du style pour paraître, mais il est que la qualité est là, et j'aurai pu choisir bien d'autres extraits, parfois plus représentatifs mais qui m'étaient bien moins chers. Résumons l'époque Del Rey comme nous l'avons fait pour l'époque Bantam : il s'agit d'une hausse de la qualité, d'une prise de risque évidente avec de très bons auteurs qui écrivent de très bons livres. Mais alors, y aurait quelques bouquins qui seraient de la littérature et pas un truc pour ces décérébrés de fans abrutis, comme le pense l'éditeur français Fleuve Noir en proposant des traductions minables et bâclées, et des couvertures confinant aux limites du ridicule (allant jusqu'à échanger deux couvertures de deux romans, à confondre des quatrièmes de couverture...) ? Pas vraiment. J'ai même envie de dire que tous les romans Star Wars sont de la littérature (oui, même ceux de Barbara Hambly.), non pas dans la mesure où il s'agit de quelque chose d'écrit, mais plutôt dans celle où ces romans sont une façon comme une autre de se projeter dans un ailleurs et de s'évader, de s'initier à tous un tas de choses, de faire des expériences et d'évoluer, de se développer personnellement, et avant tout de prendre du plaisir.
Du particulier au général, il en va de même pour les romans de J.K. Rowling et son fidèle Harry Potter, que je ne porte pas vraiment dans mon coeur, ou encore plus récemment de la saga de Stéphanie Mayer dont le film Twilight nous est arrivé. Même Marc Lévy, tiens. Du moment que le lecteur prenne du plaisir, c'est là l'essentiel. Reste ensuite la question importante de savoir s'il s'agit ou non de bonne littérature...